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vraiment humaine, devant laquelle se retirent de plus en plus l’hérédité et toutes les influences de ce genre ; c’est le triomphe de l’homme sur la nature transformée, c’est-à-dire sur la nécessité domptée.

Tous les hommes, à beaucoup près, n’accomplissent pas cette tâche ; il n’en est pas moins vrai que c’est la tâche humaine par excellence. Il suffit d’ailleurs que quelques-uns l’aient virilement faite, que d’autres y travaillent pour que nous la proclamions non-seulement souhaitable, mais possible, réalisable et constituant le but le plus élevé de la vie. La vraie loi, celle qui résume toutes les autres, n’est-elle pas que l’homme doit être tout ce qu’il peut être ? — Voyons-le donc à l’œuvre : voyons ce qu’il peut par l’élaboration de son caractère, dans la lutte à soutenir contre le tempérament qui lui impose ses servitudes, contre l’hérédité qui l’assiège de ses influences, contre la nature qui tend toujours à le déposséder de lui-même. C’est aux déterministes eux-mêmes que nous empruntons particulièrement les élémens de notre observation ; il semble que leur témoignage, invoqué à ce propos, sera moins suspect que le nôtre, et qu’en les faisant parler nous obtiendrons plus de crédit que si nous parlions en notre nom.

C’est une concession bien importante que nous fait Stuart Mill quand il dit « qu’on agit toujours conformément à son caractère, mais qu’on peut agir sur son caractère. » Cela nous suffit à la rigueur. Le caractère n’est donc pas imposé à l’homme comme une fatalité ; il y a quelque fissure à travers la muraille de la prison, par où peut passer un minimum de liberté. Or, ce qu’il est possible de faire avec ce peu de liberté, si peu que ce soit, pour agrandir la brèche du déterminisme, seuls les observateurs de la vie morale s’en doutent ; seuls ils savent comment, en l’appliquant bien, en l’employant à propos, on peut en tirer parti pour l’augmenter indéfiniment, comment, par une méthode de culture appropriée, on peut lui faire produire des résultats inattendus.

Pour montrer ces résultats et les moyens par lesquels on les obtient, consultons non pas des philosophes, mais des médecins. Leur enseignement est bien curieux : il nous montre comment le traitement moral, appliqué à la folie, consiste essentiellement à éveiller et à soutenir l’attention du malade. Cette même méthode s’applique à l’élaboration du caractère. N’est-ce pas au fond quelque chose d’analogue, et ne sommes-nous pas, tous, plus ou moins, des malades ? Ne s’agit-il pas de nous délivrer des hallucinations du tempérament, des penchans ou des habitudes, comme il s’agit, pour les aliénés, de les affranchir des idées fixes ? Un très fin psychologue, le docteur Maudsley, a tracé quelques linéamens de cette hygiène morale qui méritent d’être mis en lumière ; on y trouve une réfutation décisive du déterminisme héréditaire, bien