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croissance et de formation ; mais l’homme est loin de savoir lui-même tout ce qu’il pourrait tirer de ses facultés mentales par une culture rationnelle et logique ainsi que par un exercice continu ; pour y parvenir, il est de toute nécessité de donner à sa vie un but élevé et d’avoir en vue ce but défini dans tout ce que l’on fait ; suivre une voie contraire, négliger la culture assidue et l’exercice de ses facultés mentales, c’est laisser son esprit flotter à la merci des circonstances extérieures ; enfin, pour l’esprit comme pour le corps, cesser de lutter, c’est commencer à mourir[1].

Voilà comment la médecine elle-même nous enseigne les moyens de refaire notre caractère, de le reconquérir sur l’hérédité, en général sur la nature, et d’y marquer notre forte et personnelle empreinte. L’action sur les habitudes, qui sont une part considérable du caractère, est un autre aspect de la même question. Cette action est double, elle opère en deux sens contraires. L’habitude est une force mystérieuse qui enveloppe la vie d’une sorte de fatalité. Oui, sans doute, mais c’est nous qui l’avons créée, et l’ayant créée, nous pouvons la dissoudre. — Quand on dit que le caractère est fait en grande partie d’habitudes, c’est dire qu’en grande partie il est notre œuvre ; car dans les habitudes, c’est la liberté qui se lie elle-même. En les contractant, je crée en moi une sorte de solidarité entre mon présent et mon avenir, dont je réponds. Cet avenir que je prépare représentera une somme de volonté actuelle où je me reconnais moi-même, et que j’ai convertie volontairement en une sorte de fatalité. Je dis une sorte de fatalité, car l’habitude n’imite la fatalité que par sa forme, par son mécanisme extérieur. Ce que la volonté a fait, elle peut le défaire ; elle garde, au moins très longtemps, son droit et le pouvoir de l’exercer. On ne peut même jamais dire, à la rigueur, que l’abdication soit définitive ; on ne doit jamais croire qu’il soit impossible de dissoudre cette nécessité volontaire que nous avons construite nous-même. Ni la psychologie ni la morale ne donnent raison à ce quiétisme intérieur, à ce fatalisme paresseux qui s’endort si volontiers sur « le mol oreiller » des habitudes prises, en disant : « Je ne puis me refaire. » Dans l’œuvre perpétuelle et toujours à recommencer de la vie, il faut que la personnalité se surveille et soit prête à se ressaisir ; elle le peut, elle le doit.

Telle nous paraît être la vérité expérimentale sur la formation du caractère, composé de tous ces élémens divers et successifs : le tempérament, l’humeur, le naturel, les influences sociales, les habitudes individuelles et, par-dessus tout cela, le pouvoir personnel qui s’en empare, qui réduit l’hérédité et qui crée l’homme nouveau,

  1. Crime et Folie, conclusion.