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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/694

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gens qui ne s’enrhument jamais, et il leur rend justice. Il a eu plus d’une fois l’occasion de s’apercevoir que ces petits hommes rabougris, à la grosse tête et aux membres menus, ont le caractère un peu mou, l’esprit assez court et que leur état social laisse beaucoup à désirer ; mais il les a toujours trouvés débonnaires, hospitaliers, secourables ; il a constaté qu’ils mentent rarement, que lorsqu’ils ont promis, ils sont de parole. Il n’a été trahi que par le capitaine Barry, qui n’est pas un Innuit. Il n’a été trompé que par un seul Esquimau, et nous ayons le regret de dire que le fripon était un prêtre ou ankut, lequel offrit au lieutenant comme une précieuse relique de l’expédition Franklin un méchant couteau qu’il avait fabriqué, lui-même et qu’il entendait se faire payer très cher. Toute réflexion, faite, sa marchandise parut suspecte, il fut honteusement éconduit, on le pria de porter ailleurs ses coquilles.

On a reproché à Montesquieu d’avoir exagéré l’influence du climat. Il n’en est pas moins vrai que certains climats extrêmes font violence à l’homme et décident de sa destinée. L’état social des Innuits est le seul que comportent les régions arctiques. Ne tirant leur subsistance que de la chasse et de la pêche, ils ne sont pas tentés de se réunir en corps de nation, ils doivent au contraire se disperser en bandes pour trouver leur pauvre vie dans les tristes déserts où ils sont confinés, et ils n’auront jamais d’autres institutions que le régime patriarcal des peuples chasseurs. Leurs biens étant égaux, ils ne peuvent se distinguer que par le courage et les conseils, et la seule autorité qu’ils respectent est celle des vieillards qui se souviennent des choses passées. Réduits à la vie de sensation, leur religion est un grossier fétichisme. Ils attribuent à leurs prêtres, confidens intéressés de leurs continuelles frayeurs et de leurs maigres espérances, le don de guérir les maladies et de deviner l’avenir ; pour les honorer, ils leur accordent quelquefois le jus primas noctis. Ils n’ont ni juges ni code pénal ; ils n’ont que des mœurs, ils n’ont pas de lois. Un homme s’est-il rendu coupable de quelque méfait, de quelque rapine ou de quelque meurtre, les vieillards l’exhortent à racheter sa faute par une composition en nature. S’il s’y refuse, on lui dira : « Ma-muk-poo-now : Cela n’est pas bien ! » Et on s’en tiendra là. C’est à l’offensé ou à sa famille de se faire justice. Voilà une société telle que la peuvent rêver nos anarchistes, et pour notre bien comme pour le leur, nous ne saurions trop les engager à émigrer chez les Esquimaux.

Le vieil Hésiode disait il y a longtemps que, pour être heureux ici-bas, un homme doit avoir une maison, un bœuf et une femme. Les Esquimaux n’ont que des maisons de neige, et ils en changent souvent, obligés qu’ils sont de suivre dans ses capricieuses migrations le renne qui les habille et les nourrit. Ils n’ont pas de bœufs de labour. Qu’en feraient ces pauvres gens ? Ils les remplacent Dar des hameçons, par