Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affaiblissant toutes les garanties de justice qu’il compte travailler à la paix ? M. le ministre de l’intérieur et M. le président du conseil parlent sans cesse de refaire un gouvernement : est-ce avec des idées de faction, : avec des faiblesses et des complaisances pour les passions de parti qu’ils se flattent de fonder un gouvernement ? On ne fonde rien, on vit à peine, et la pire des choses est qu’avec tout cela on ne se crée sûrement pas les moyens de relever le crédit de la France dans le monde, de poursuivre une politique avec autorité devant l’Europe, comme dans les régions lointaines où la fortune peut nous appeler.

Aux deux extrémités de l’Europe aujourd’hui, à Moscou et à Madrid, se déploient sous des formes différentes ces pompes monarchiques auxquelles les peuples ne sont jamais insensibles, parce qu’elles représentent à leurs yeux quelque chose de plus qu’un fastueux et vain cérémonial de cour. L’empereur de Russie vient de se faire sacrer solennellement au Kremlin, le roi et la reine de Portugal sont reçus avec éclat en Espagne, et dans les deux pays, ces fêtes impériales ou royales, sans avoir la même importance ni le même caractère, ont leur signification.

Jusqu’ici l’héritier de l’infortuné Alexandre II de Russie avait ajourné cette cérémonie traditionnelle du couronnement, qui est comme la consécration obligée du pouvoir des tsars, comme le baptême de chaque nouveau règne. Alexandre III était arrivé au trône dans des conditions si tragiques et, depuis son avènement, il s’est trouvé engagé dans de telles luttes avec les insaisissables conjurations de meurtre, avec ce mystérieux et redoutable nihilisme, qu’on a longtemps hésité. On se rappelait avec une certaine terreur cette série d’attentats qu’aucune police n’a pu déjouer, et le Palais-d’Hiver sautant en partie par la dynamite, et le dernier tsar périssant victime d’audacieux conspirateurs sur un quai de Pétersbourg, et les tentatives multipliées d’assassinats. On ne cessait de se trouver en face de complots menaçant tantôt le souverain lui-même, tantôt les chefs de l’administration, prenant toutes les formes et attestant une puissance de fanatisme qui ne reculait devant rien. C’était entre le gouvernement et les sectes une guerre obscure, obstinée, implacable, qui, au début du règne, a réduit le nouveau tsar à vivre le plus souvent renfermé dans ses palais, où il ne se sentait pas même peut-être toujours en sûreté. Il y avait bien certes de quoi hésiter et se préoccuper de ce qui pourrait arriver dans une cérémonie où la famille impériale tout entière allait avoir à paraître publiquement, entourée de princes étrangers, d’ambassadeurs extraordinaires de toutes les puissances, au milieu de masses immenses attirées par les fêtes, par les spectacles. Ce n’est point sans quelque anxiété qu’on s’est décidé enfin à ne plus ajourner cet acte à la fois national, politique et religieux du sacre,