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pas caché, du reste, la triste pensée dont on poursuivait la réalisation. Il a dit, sans provoquer une contestation, devant le parlement de son pays, au congrès de Santiago, qu’il fallait aller jusqu’au bout, que l’objet de la guerre était de « ruiner le Pérou au point de le mettre dans l’impossibilité de se relever d’un siècle. » Le fait est que l’armée chilienne, campée depuis deux ans dans la capitale et dans les provinces péruviennes, maîtresse absolue d’une partie du pays, paraît avoir été tout simplement l’exécutrice de cette implacable politique. Un des chefs de la marine péruvienne, le contre-amiral Aurelio Garcia y Garcia, dans une lettre qu’il a récemment publiée en Angleterre, s’est fait l’historien pathétique des procédés des envahisseurs de son pays. Les Chiliens, d’après le témoignage de l’amiral Garcia, ne se seraient pas contentés d’exercer les droits militaires avec la dernière rigueur, de se livrer à toutes les déprédations et aux exécutions sommaires, de ruiner les habitans des villes et des campagnes, commerçans et propriétaires, pour finir par les déporter en Patagonie, à mille lieues de leur patrie ; ils poursuivraient par tous les moyens la réalisation d’un système de spoliation qui bien réellement exténuerait le Pérou « pour un siècle. » Ils auraient déjà mis tout au pillage, les bibliothèques, les archives nationales, les galeries de peinture, les collections scientifiques et littéraires de l’université, du conservatoire. Les objets d’art, statues, bronzes, fontaines qui décoraient les places publiques, les phares des côtes, le matériel de la monnaie de Lima, même les caractères de l’imprimerie nationale, tout cela aurait été enlevé et transporté au Chili. Quant aux résidens étrangers, un peu moins exposés à être rançonnés, ils en auraient été quittes pour payer un double droit de douane établi sur l’entrée de toutes les marchandises étrangères. La peinture de l’amiral Garcia fût-elle un peu passionnée, ce qui reste de trop réel, de trop vrai, dépasse encore assurément tous les droits de la guerre.

Voilà comment se traitent ces républiques du Nouveau-Monde, qui ont la même origine, qui sont de même race espagnole et parlent la même langue. Il fallait cependant en finir avec cette lutte poussée jusqu’à l’extermination du pays vaincu, et il paraîtrait maintenant qu’une nouvelle tentative de pacification aurait eu plus de succès que toutes celles qui ont été essayées jusqu’ici. Si le traité qui aurait été signé est tel qu’on le dit, le Pérou paierait sa défaite en cédant définitivement une province, celle de Tarapaca, avec une partie de ses côtes, et en consentant à l’occupation pendant dix ans de la province de Tacna, du port d’Arica. Après cette occupation de dix ans, les populations décideraient par voie de plébiscite si elles veulent rester sous la domination du Chili ou si elles préfèrent redevenir péruviennes. Ces conditions sont assurément dures ; elles le sont pourtant moins que ne le laissaient craindre les exigences primitives du Chili, et,