Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/815

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commandement ; mais je me plais à espérer que je partagerai avec vous le danger et la gloire d’écraser les chiens d’enfer qui sont capables de telles barbaries. »

Il fut fidèle à sa promesse. Le 7 octobre, il rejoignit les volontaires au lieu fixé pour leur réunion à Fayetteville, sur la frontière de l’Alabama. Son visage pâle et amaigri conservait l’empreinte de la souffrance : il portait encore en écharpe son bras gauche entouré de bandages ; mais il n’avait perdu ni sa prodigieuse activité, ni son indomptable énergie. En quelques jours, il eut organisé les régimens, exercé les nouveau-venus et opéré sa jonction sur les bords du Tennessee avec la cavalerie dont son vieil ami Coffee, devenu général, avait pris le commandement.

Au moment où il allait s’engager à la poursuite des Indiens, il se montrait particulièrement préoccupé des difficultés que devait offrir dans cette région déserte le ravitaillement de sa petite armée. « Il y a, écrivait-il, un ennemi que je redoute beaucoup plus que les Creeks ; et je crains bien que ce soit)celui dont nous aurons à éprouver les premières atteintes : c’est le monstre maigre, c’est la famine. » Il allait avoir à lutter bientôt contre un autre ennemi non moins redoutable. L’esprit d’indiscipline est le vice originel et, pour ainsi dire, la condition naturelle de ces armées improvisées que la légende démocratique a si longtemps proposées à notre admiration. La république des États-Unis en a fait plus d’une fois la triste expérience. M. le Comte de Paris, dans sa belle Histoire de la guerre civile en Amérique, a rappelé les efforts inouïs que dut faire Washington pour plier aux exigences du métier militaire et pour retenir dans le devoir les premières troupes de la guerre de l’indépendance composées en partie de volontaires enrôlés pour quelques mois et en partie de militaires recrutés dans les bas-fonds de la société, qui portaient dans les camps l’esprit de révolte et qui cédaient à la première panique sur le champ de bataille. Quatre-vingts ans après ces premières épreuves, il a retracé avec une vérité saisissante et avec l’autorité d’un témoin l’étrange aspect de ces volontaires qui, au début de la guerre de la sécession, répondirent au premier appel d’Abraham Lincoln : « Ramassés parmi les gens désœuvrés des villes et des campagnes, indisciplinés, parce que le terme trop court de leur engagement ne leur permettait pas de prendre leur profession au sérieux, ils ne se faisaient, dit-il, aucune idée des épreuves et des fatigues auxquelles tout soldat doit être préparé… On en vit même quelques-uns quitter leur poste la veille du combat, parce que l’heure précise où expirait leur engagement venait de sonner[1]. »

  1. T. Ier, p. 15 et 316.