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C’était à la tête de pareils soldats que Jackson allait ouvrir la campagne : il semblait avoir eu le pressentiment des difficultés qu’il allait rencontrer lorsque, dans la proclamation adressée à ses troupes au moment du départ, il leur recommandait, comme la première condition du succès, la rigoureuse observation de l’obéissance et de la discipline.

Les débuts de l’expédition furent heureux : le 3 novembre, le général Coffee s’empara de la petite ville de Talluschatches : quatre jours après, Jackson délivra à Talladega, sur les bords de la rivière la Coosa, une centaine d’Indiens appartenant à des tribus amies qui s’y trouvaient bloqués et à la veille d’être massacrés par les Creeks ; à la suite de ce combat, il envoya le premier drapeau pris sur l’ennemi aux dames du Tennessee, qui avaient offert aux volontaires un étendard brodé au retour de leur dernière campagne.

Ces succès avaient soutenu le moral des troupes ; mais l’insuffisance des approvisionnemens ne tarda pas à se faire sentir : les convois attendus par le général n’arrivèrent pas aux époques fixées ; un sourd mécontentement se manifesta dans les rangs de la petite armée condamnée à l’inaction et affaiblie par les privations ; la rébellion éclata dans la milice dont les officiers, choisis pour la plupart parmi des politiciens de bas étage, se faisaient les interprètes dociles des exigences de leurs soldats ; elle gagna bientôt les volontaires et le général parvint à grand’peine à contenir l’effervescence croissante de ses troupes.

Les convois si impatiemment réclamés arrivèrent enfin : un troupeau de bestiaux fut arrêté par les soldats avant d’arriver au camp, abattu, dépecé et dévoré sur place. Les volontaires n’en persistèrent pas moins à refuser le service et annoncèrent la résolution de reprendre le chemin du Tennessee. Jackson, isolé et sans ressources au milieu de soldats révoltés, ne pouvait compter que sur son énergie personnelle. Comme d’ordinaire, elle ne lui fit pas défaut. Les mutins le virent se présenter à eux à cheval entouré d’une poignée d’hommes restés fidèle ; le bras en écharpe et tenant d’une main un fusil qu’il appuyait sur l’épaule de son cheval, il menaça de faire feu sur le premier qui désobéirait à ses ordres[1]. Les rebelles, intimidés par son aspect et par son langage, rentrèrent dans le devoir et regagnèrent leurs cantonnemens du fort Strother. « En de semblables occurrences, ; dit M. Parton, la tenue, l’attitude, le langage du général Jackson étaient véritablement terrifians… Il avait une façon de jurer qu’il avait élevée à la hauteur d’un talent. Il écrasait ceux qui étaient l’objet de sa colère sous une bordée de jurons tout à fait originaux et, comme il avait conscience de cette

  1. On sut depuis que le fusil n’était pas même chargé.