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des relations politiques de la France avec Tripoli, Tunis et le Maroc. » Ces conclusions étaient adoptées à l’unanimité. Une fois de plus, les membres du conseil supérieur ont fait preuve de cette clairvoyance qui s’acquiert par la pratique des affaires. Leur vote témoigne de la façon juste autant qu’élevée dont ces hommes de sens et d’expérience comprennent le rôle d’un gouverneur-général de l’Algérie. Pour le bien remplir, combien d’aptitudes diverses sont nécessaires ! Il y faut un homme capable, sinon de diriger lui-même les expéditions militaires, tout au moins de les concevoir à propos et de les bien préparer, se connaissant en administration et qui soit, en même temps, un très habile politique. Son habileté ne lui sera pas seulement de secours quand il lui faudra ouvrir, de temps à autre, des négociations avec l’empereur du Maroc ou le bey de Tunis, il en aura journellement besoin dans ses rapports avec les Arabes.

Ceux-là connaissent mal l’Algérie, qui se figurent que nous sommes libres d’y appliquer partout avec une régularité uniforme nos procédés ordinaires de gouvernement. Il n’en est rien. La diversité des sentimens et des habitudes de sa population n’est pas moins frappante que celle de la configuration de son sol. Il n’y a pas plus de ressemblance entre les habitans de la grande Kabylie, fixés dans leurs petits villages bâtis en pierres, et les peuplades errantes du Sahara, qu’entre les montagnes abruptes du Jurdjura, couvertes de neige pendant trois mois de l’année, cultivées jusqu’à leur sommet, et les plaines de sable brûlant du Sahara où les chameaux des caravanes trouvent à peine à brouter quelques maigres broussailles. Les mesures acceptées sans trop de répugnance par les indigènes de race berbère, qui sont monogames et dont les tendances démocratiques se rapprochent des nôtres, courraient risque d’être fort mal reçues hors du Tell par les chefs des grandes tentes, fort respectés des multitudes qu’ils commandent et qui vivent un peu à la manière des patriarches de l’ancien Testament. Ce sont puissances avec lesquelles il faut continuellement traiter sans se départir d’une bienveillance attentive, prête cependant à se faire, au besoin, respecter par des actes d’énergie.

Quand je songe à tant de qualités requises pour se bien acquitter de semblables fonctions, si graves et si délicates, je comprends difficilement la situation d’esprit de ceux pour qui tout se résume dans la question de savoir si le gouverneur général sera un personnage civil ou militaire. J’avoue que cette alternative me laisse passablement indifférent. D’autres vont plus loin. À leurs yeux, la valeur du gouverneur général peut exactement se mesurer au degré de son amour pour la république et de son aversion pour le cléricalisme. Voilà deux façons de voir qui simplifient beaucoup les choses, mais elles ne sont ni l’une ni l’autre à mon usage. J’ai