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important, dans le recueil des Monumenta de Pertz par les soins du célèbre germaniste M. George Waitz, et dans la collection in-quarto de l’École française de Rome par M. l’abbé Duchesne : celle-ci est en voie d’exécution.

M. Louis Duchesne est dès maintenant un maître qui compte parmi les esprits les plus pénétrans et les plus fermes en fait d’érudition critique. Dès à présent, il est un des savans français les plus considérés au-delà de nos frontières ; M. Mommsen, en toute occasion, et M. Waitz, en le combattant, lui rendent témoignage ; M. de Rossi, qu’il proclame son maître, l’a pour collaborateur : ils préparent ensemble une édition des Martyrologes qui datera certainement dans la science.

Nous possédons sous le titre de Liber pontificalis une série de biographies des papes de saint Pierre à Martin V, du Ier au XVe siècle. Il va de soi qu’un si vaste recueil n’a pas été écrit par un seul auteur et en une seule fois, mais qu’il y a eu d’abord une première série, puis des suites rédigées à diverses époques. Or l’intérêt devient évident, pour qui veut apprécier l’autorité du livre, de savoir quelle date assigner au plus ancien travail, par qui, sous quelles influences, avec quels documens il a été accompli. L’opinion générale était jadis qu’il fallait distinguer de tout le reste la longue série de biographies qui va depuis le commencement jusqu’au IXe siècle, et qu’Anastase le Bibliothécaire en avait été le compilateur. Or M. Duchesne, dans un mémoire qui forme le premier fascicule de la Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, a établi que c’était là une grave erreur ; il a démontré que la rédaction d’une première série du Liber remontait à l’année 514 environ : résultat considérable, qui fortifie les témoignages exprimés sur les premiers siècles chrétiens. Mais de quelle nature sont ces témoignages ? Ont-ils un caractère vraiment historique ou seulement légendaire ? La superstition et la crédulité y usurpent-elles, comme il arrive dans beaucoup de chroniques du moyen âge, un rôle prépondérant ? S’inspirent-ils d’informations prochaines ? De quel milieu sont-ils l’expression ? Ici encore la critique pénétrante de M. Duchesne atteint des conclusions très nouvelles. Le patient examen des textes, et l’étude attentive de cent cinquante manuscrits au moins, lui permettent de se transporter en esprit dans le temps où le Liber pontificalis s’est formé. Il assiste aux débats qui, pendant le Ve siècle, divisent Rome et affaiblissent la papauté, aux luttes qu’elle livre pour l’avenir de son pouvoir temporel, aux querelles théologiques et aux guerres intérieures qui en résultent, et de singulières relations, jusqu’ici non soupçonnées, lui apparaissent entre ces troubles politiques ou religieux et la rédaction de la chronique pontificale.