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et en consacre les plus hautes manifestations. On peut dire qu’elle la complète, puisqu’il est de petits états, comptant assez peu par la politique et la guerre, qui ont dû au seul éclat des arts et des lettres une renommée durable. En assurant la perpétuité des plus beaux souvenirs, l’histoire littéraire et l’histoire des arts montrent la force de l’esprit, et ce que peuvent, à côté de l’homme d’état et du conquérant, le poète et l’artiste. Elles suivent dans leur développement quelques-unes des plus précieuses facultés de l’intelligence humaine. Elles mettent sans cesse en comparaison les époques diverses, et par cela seul, si elles ne cessent pas d’être clairvoyantes ou simplement sincères, elles rendent plus d’un service. Les hauteurs, qu’elles ne laissent pas s’obscurcir, continuent de dominer et de montrer la voie ; les vrais rapports sont observés, les œuvres sont appréciées sans l’oubli des circonstances et des milieux qui les ont vues naître ; un plus grand nombre de ces œuvres sont mises en relief ; le goût, l’étude, l’admiration, mieux sauvegardés, trouvent aussi plus de quoi se satisfaire. D’autre part, une barrière est opposée à l’esprit de système, exclusif et partial, ainsi qu’à ces théories excessives qui, exagérant une règle de critique dont la juste observation serait de simple bon sens, voient dans les milieux où naissent la littérature et l’art de factices creusets, disent les combinaisons et les mélanges qui produisent à point nommé le génie, et interdisent au souffle divin de s’élever où et quand il lui plaît.

L’histoire littéraire et l’histoire de l’art doivent avoir leur rôle dans cette enquête compréhensive et équitable qui seule autorise les conclusions générales et les vues d’ensemble. Pour faire mieux comprendre et pour entretenir le culte des grandes époques et des grandes œuvres, elles doivent scruter les époques intermédiaires. Aux yeux de l’historien philosophe, ce qu’on appelle les bas temps ou les temps de décadence ne mérite pas le dédain. Ce sont des époques de transition pendant lesquelles les restes flétris, mais encore vivans, de la saison dernière protègent et suscitent la germination de la saison nouvelle. De quel prix ne serait-il pas de pénétrer cet intime travail et d’en saisir les phases diverses ? S’il paraît que le champ soit stérile et que les sujets d’observation fassent défaut, prenons garde qu’il faille nous en prendre à notre incomplète étude, et que ce soit nous simplement qui ignorions. Le travail des esprits dans les lettres et les arts, comme le travail de la terre, ne s’arrête jamais. Il suit, plus ou moins actif, mais sans jamais s’interrompre, des voies, logiques ; il subit, plus ou moins docile, mais sans jamais s’y soustraire entièrement, des influences historiques qu’il importe de retrouver par un patient examen, sous peine de laisser se perdre plusieurs anneaux d’une chaîne qui n’est autre que l’histoire intellectuelle et morale de l’humanité.