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milieu des bandes alcoolisées qui titubaient à travers la ville ; les frères et leurs pensionnaires risquaient d’être soumis à un jeûne voisin de la famine. La mairie du XVe arrondissement, sans en être sollicitée, nourrit l’asile, lui envoya des viandes salées, du pain et des légumes secs. Le délégué, membre de la commune, était un teinturier nommé Victor Clément, homme débonnaire, dont la conduite, en ces jours de furie, démontra la mansuétude. Sa bienfaisance envers les enfans soignés à la rue Lecourbe ne fut entravée par aucun de ses deux collègues de Vaugirard, ni par Camille Langevin ni par Jules Vallès. Grâce à eux, les petits infirmes ne sont pas morts de faim ; mais si la charité de la commune se souvint d’eux, la guerre ne les oublia pas ; les obus écornaient les murs de la maison ; les balles sifflaient dans le jardin ; on pouvait dire : « Il y a péril en la demeure. » Les frères furent obligés de se séparer de leurs élèves, pour lesquels nulle sécurité n’existait plus. Tout le monde pleurait ; les pauvres petits se pendaient à la robe de leurs maîtres, les maîtres les exhortaient à la résignation. Dès que le calme fut un peu rétabli dans la ville incendiée, on se hâta de rouvrir l’asile. Les enfans y furent rapportés et reprirent cette existence à la fois douce et disciplinée qui, dans la maison hospitalière, remplace pour eux, et souvent avec avantage, les soins de la famille.

L’admission dans la maison n’est pas gratuite ; le prix de la pension est des plus modiques, car le maximum est fixé à 50 centimes par jour, maximum théorique pour ainsi dire et qui souvent s’abaisse ai n’être que de 10 sous par mois. A quoi bon exiger une si faible somme ? On y tient cependant et on l’impose autant que possible, même aux familles les plus pauvres, car l’expérience a démontré ce fait extraordinaire que les parens auxquels nulle rémunération m’est réclamée abandonnent leurs enfans, disparaissent et ne s’en occupent plus ; on dirait que ce léger sacrifice raffermit le lien de la famille et empêche qu’il ne soit brisé. Quand des parens cessent de payer l’obole qui assure à leur fils l’abri, la nourriture, le vêtement, l’instruction, les soins moraux et les soins hygiéniques, on sait ce que cela veut dire ; on aura désormais à garder un orphelin dont le père et la mère vivent encore. Ils ont déménagé sans laisser d’indication sur leur nouvelle demeure ; où les retrouver dans l’immense Paris ? La maison ne rejette pas l’enfant ? au contraire, elle se referme sur lui et l’adopte. C’est le révérend père directeur de l’asile qui prononce les admissions ; sa règle lui prescrit avec raison de repousser les épileptiques et les idiots, toujours dangereux en communauté ; sans être resserré dans des limites trop absolue, l’âge est fixé entre cinq et douze ans. Toute