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de Meyerbeer, c’est la déposition d’un des acteurs, Mohamed Riaz-Pacha, qui, trouvant le serment quelque peu dangereux, s’est vanté de l’avoir esquivé avec beaucoup d’habileté. D’après lui, il s’agissait de déclarer que toutes les personnes présentes seraient toujours unies en un même faisceau et ne cesseraient pas de se donner la main, aucune d’elles ne devant en contredire une autre, et celle qui divulguerait le secret consentant d’avance à avoir la langue coupée en deux et à être jetée à la mer. « Mais je me suis tiré d’affaire, ajoutait-il; je les ai trompés : j’ai posé la main sur la table et non sur le Coran. Ils ont cru que je jurais, et je n’ai pas juré. » Il est probable que cet Escobar musulman n’a pas été seul de son espèce.

Quoi qu’il en soit, et si comiques que fussent certains incidens de ces réunions d’officiers, il n’en était pas moins vrai qu’elles avaient amené entre toute l’armée une solidarité que rien ne devait détruire. On entrait dans la voie des violences et des crimes. Ceux qui auraient voulu s’arrêter ne le pouvaient plus. Arabi lui-même était à la merci de ses soldats. « Arabi est décidé à résister à l’Europe, disait un colonel à un ingénieur français, et quand bien même il le voudrait, il ne pourrait plus désormais se séparer de ses frères d’armes. Du reste, ajoutait-il, si la fortune des combats nous est contraire, ce que nous ne croyons pas, ce qui est même impossible, nous nous retirerons, nous ne laisserons aux vainqueurs qu’un pays ravagé, où il ne restera pas pierre sur pierre ; nous sommes tous solidaires les uns des autres par les sermens les plus solennels, et si nous succombons, nous aurons au moins la satisfaction de ne laisser à l’ennemi que des ruines. C’est d’un pays désolé, dévasté et désert qu’il s’emparera. » Ali-Roubi disait de même : « Nous allons commencer la lutte. Si elle tourne contre nous, nous mourrons en braves et nous ne livrerons la patrie islamique aux chrétiens que dans un état tel qu’il ne sera plus possible de la reconnaître. Nous brûlerons les maisons, nous ferons sauter les mosquées, nous étoufferons nos familles et nous ne périrons qu’au milieu des ruines. Quant à moi, mon parti est bien pris, je déchirerai mes enfans en lambeaux et j’en jetterai les morceaux sanglans au visage du vainqueur. L’Egypte que nous laisserons aux Européens n’aura ni villes ni habitans. Il faudra qu’ils la rebâtissent et qu’ils la repeuplent tout entière. » Dès la chute du ministère de Chérif-Pacha, c’est-à-dire dès le mois de février, Arabi avait manifesté les mêmes fureurs. Un haut fonctionnaire lui représentant que des complications graves résulteraient de la promulgation du projet de loi organique voté par la chambre des notables, il mit la main sur la garde de son épée et s’écria : «Si quelqu’un s’immisçait dans nos affaires, tous devraient se préparer à la mort, tous seraient anéantis... »