d’une montagne, Hadwige, émue aussi devant le vaste horizon, s’appuya fortement sur le bras du moine, et d’une voix attendrie : « Que pense mon ami? » dit-elle. La Bible lui fournit encore sa réponse : « Puis le diable le conduisit sur une haute montagne... » Cette fois, Hadwige en colère se détourna de lui.
A quelque temps de là, les hordes hongroises envahirent le pays. Une petite armée, composée de tous les hommes valides, moines et paysans de la contrée, se réunit autour du château fort de Hohentwiel afin de résister à l’assaut des Huns. Au matin du combat, la duchesse de Souabe pénétra seule dans la chambre d’Ekkehard ; elle lui apportait l’épée ornée de pierres précieuses du duc Burchard, son défunt mari. Le cœur du pauvre moine battait à tout rompre, et il fut sur le point de serrer sa maîtresse dans ses bras, mais le souvenir du vœu monacal triompha de sa passion, et ce scrupule acheva de le perdre dans l’esprit de cette femme altière. Il eut beau se signaler entre tous, courir au devant de la mort, tremper l’épée de Burchard dans le sang des Huns, il avait laissé fuir l’heure propice.
L’amour s’était emparé de son âme. Dès lors plus de paix dans sa cellule, plus de joie au travail, plus d’application à ses manuscrits, à ses miniatures. La volupté s’éveillait tard dans ses veines, mais avec d’autant plus de véhémence. Une tentation sourde l’envahissait peu à peu, à mesure que la duchesse se déprenait de lui. Pour comble d’infortune, le moine Gunzo, dont il avait humilié par ses critiques la vanité littéraire, écrivit contre Ekkehard un venimeux pamphlet, qui ternit le renom qu’il avait de bon latiniste et le couvrit de ridicule aux yeux de la duchesse : maintenant « c’était la pitié que ses regards apportaient à Ekkehard, mais non cette douce pitié d’où jaillit l’amour, comme le lis surgit de la terre humide; ce sentiment cachait un mauvais germe de mésestime. » Qu’importaient désormais à Hadwige les amours de Didon? Le commentaire l’assommait, depuis que le commentateur avait, à ses yeux, perdu tout prestige.
En vain Ekkehard voulait prier, en vain il mouillait ses yeux avec l’eau du Jourdain, remède contre la tentation. Un jour, plus troublé que d’habitude, il descendit dans la sombre et silencieuse chapelle du château et posa son front brûlant sur les marches de pierre de l’autel. Une ombre glissa sur le seuil de la chapelle, c’était la duchesse Hadwige. Depuis qu’elle se sentait de l’éloignement pour le moine, l’image de son vieux mari défunt flottait plus souvent qu’autrefois devant ses yeux; « à mesure que le vivant baissait, le mort montait. » L’ayant aperçue, Ekkehard s’approcha d’elle; dans ses yeux profonds brûlait une flamme d’enfer :