Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/927

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

modèle du genre. Il se nommait Mariani et florissait en 1863 ; les Allemands célèbrent encore sa force d’initiative et de pénétration. J’en connais qui ne tarissent pas d’éloges sur l’art qu’il déployait à conduire les ouvrages de Wagner. Sa reproduction du Lohengrin, même pour eux, est restée typique. Mort trop jeune, il a laissé des épigones : Mancinelli, en ce moment chef d’orchestre du théâtre Apollo, à Rome, et l’auteur d’une très remarquable symphonie de Cléopâtre, exécutée, si l’on s’en souvient, à Paris, lors de l’exposition ; Usiglio et ce Faccio, que notre futur Théâtre-Italien et la Scala de Milan se disputent. On citerait aussi, — mais ceux-là moins jeunes, — Carlo Pedrotti à Turin, et Mabellini à Florence.

A l’introduction de ces divers élémens étrangers que nous venons d’énumérer, et qui suffiraient pour expliquer la décadence progressive de l’opéra indigène, il importe aussi d’ajouter une autre cause, toute locale, de dépérissement : je veux parler du mode d’administration qui régit les théâtres. Tout y relève du domaine privé, tout y est simplement affaire de spéculation. L’année dramatique s’ouvre le 26 décembre et se compose de saisons à n’en plus finir : carnavale, quaresimo, primavera, estate e autunno, fiera dei santi (carnaval, carême, printemps, été, automne et saison des saints), autrement dit des fêtes patronales et des grands marchés de Brescia, de Padoue, etc. On se figure l’énorme consommation que doit amener un pareil ordinaire; la moindre ville de province veut avoir sa saison, fallût-il se payer ce luxe aux dépens du nécessaire. Les affamés et les gloutons n’étant jamais des délicats, on leur sert à la diable le menu du jour, et, tant bien que mal, ils s’en repaissent ; de là quelque chose de forain et d’inconciliable avec l’idée que nous aimons à nous faire de la culture du grand art. En France, nos théâtres ont des directeurs ; en Italie, ce sont des impresarii, terme déjà moins relevé et qui semble viser davantage le côté industriel et nomade du métier. La manière seule dont nous nous sommes approprié le mot marque la nuance ; un directeur est à demeure, un imprésario fait des tournées. Ce n’est pas tout; il y a aussi la question des éditeurs. Rarement une partition entre d’emblée dans le commerce, on ne la publie point gravée, on la loue à la saison, en manuscrit, — orchestre et chant, — et naturellement le plus cher qu’il se peut. Admettons que, dans un pays où le goût du drame musical règne sans partage, une lutte de rivalité se déclare entre éditeurs, et vous verrez, à quelques jours de distance, la même partition traverser les fortunes les plus contraires, témoin Lohengrin, acclamé à Bologne, à Florence, et conspué à Milan. De fait, ce que nous appelons le répertoire n’existe pas; on ne connaît que la nouveauté, la pièce en vogue. Du théâtre classique, presque jamais rien; de loin