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Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.


Ce qui aurait pu entraîner Frédéric-Guillaume IV à prendre parti pour les puissances occidentales, c’était son penchant pour l’Angleterre et la confiance que lui inspirait son ambassadeur à Londres, M. de Bunsen, qu’il avait en grande amitié. Un instant, il parut ébranlé ; les avertissemens pressans du baron Senfft de Pilsach le rendirent à lui-même. Comme M. de Bismarck, qui représentait alors la Prusse à la diète de Francfort, M. de Pilsach estimait que son roi ferait une faute irréparable en se brouillant avec la Russie. Il lui proposa d’appeler M. de Bismarck dans ses conseils, de le charger du portefeuille des affaires étrangères. C’était trop lui demander ; il se défiait des pilotes audacieux qui vont chercher au large les grands vents ; il aimait à naviguer de cap en cap, sans perdre de vue la côte, ses baies et ses mouillages. Cependant on travaillait beaucoup derrière lui ; son président du conseil, M. de Manteuffel, ainsi que M. de Bunsen, avaient déjà abandonnera neutralité. M. Wagener croit pouvoir inférer des documens inédits qui lui ont été confiés que ce fut M. de Pilsach qui traversa cette intrigue. Au surplus, les procédés cavaliers du cabinet anglais, qui semblait user de lui comme de son bien, indisposèrent le roi, et, ce qui peint bien son caractère, des propositions d’agrandissement qui lui furent faites de Londres et lui parurent blessantes pour sa probité le confirmèrent dans sa résolution de rester neutre. Par hauteur de sentimens, ce roi de Prusse dédaignait la politique de pourboire, comme il méprisait les maquignons et le maquignonnage. Cette fois encore, ses scrupules le servirent bien. L’Autriche, qui s’était beaucoup remuée, se vit frustrée de ses espérances, et, quelques années après, les rancunes du cabinet de Saint-Pétersbourg la mettant à la discrétion de la France, elle perdait ses possessions italiennes. La Prusse avait joué un rôle fort modeste, et peu brillant qui lui avait attiré beaucoup d’ennuis, beaucoup d’épigrammes, beaucoup de quolibets et la dédaigneuse pitié de plus d’une grande puissance. Mais elle s’était conservé l’amitié de la Russie, et les avantages qu’elle en a retirés ont dépassé son attente. Cette histoire prouve que la modestie est quelquefois une vertu de gros rapport.

Ce que les royalistes prussiens ont eu le plus de peine à pardonner au roi Frédéric-Guillaume IV, ce fut la faiblesse de ses résolutions, l’humilité de son attitude dans la grande crise qu’il traversa au mois de mars 1848. Il avait cru que les barricades et les émeutes étaient une invention française qui ne pouvait s’acclimater sur les bords de la Sprée ; il avait défié la révolution de pénétrer jamais dans ses états. Il était à Potsdam ; il en partit un matin en disant : « Il faut que j’aille à