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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/370

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à de coupables manœuvres qui cependant ne tombent pas, si le séducteur est habile, sous le coup de la loi. Et en dehors de cette supposition, nous pouvons encore, nous devons même admettre, avec M. Dumas, « la poésie du sacrifice et l’héroïque folie du don volontaire de soi-même, » quand ce ne serait que comme une conséquence des rêves dont le romantisme a nourri l’imagination de la femme contemporaine. Rien de plus clair, dans l’un et l’autre de ces deux cas, que l’intérêt de la femme à être relevée de cette déchéance, et rétablie, autant qu’il se peut, dans l’honorabilité de sa situation primitive. Je dis seulement qu’il n’est pas facile de trouver en sa faveur un moyen de réhabilitation qui ne profite pas jusqu’aux femmes qu’il faut maintenir dans le degré de juste mépris où elles sont tombées ; et j’ajoute que, si l’on réussissait à le trouver, il faudrait encore prendre garde comme il serait dommageable aux intérêts de toutes les honnêtes femmes, c’est-à-dire, pour parler comme il faut, de la très grande majorité des femmes.

C’est ce qu’a très bien montré, dans un fragment de son Essai sur les femmes, ce grossier Schopenhauer, si profond quelquefois dans sa grossièreté. Le siècle, après tout, ne se pique pas d’assez de délicatesse morale pour que nous ne puissions pas emprunter au philosophe de Francfort sa théorie de l’honneur féminin. Elle a toujours cela pour elle de n’être tirée des principes ni d’une révélation trop haute, ni d’une métaphysique trop noble : deux raisons qui doivent assurer sa fortune auprès de ceux qui font gloire de ne se payer, comme ils disent, ni de sentimentalités niaises, ni de vaines déclamations. Observons, en passant, qu’elle appartient à Chamfort, et que Schopenhauer n’a fait que la développer.

Il dit donc que l’honneur des femmes est un « esprit de corps » bien entendu. Le fondement de cet « esprit de corps, » ou de cette « tacite confédération, » comme, l’appelait Chamfort, de toutes les femmes entre elles, c’est que toute femme attend tout de l’homme, le nécessaire et le superflu, ce qu’il lui faut et ce qu’elle désire, la satisfaction de ses besoins et l’accomplissement de ses désirs, tandis que l’homme, au fond, ne demanderait et n’attendrait de la femme qu’une seule chose. « Les femmes doivent donc s’arranger de telle manière que les hommes ne puissent obtenir d’elles cette chose unique qu’en échange du soin qu’ils s’engagent à prendre d’elles et de leurs enfans à venir. » C’est pourquoi toute femme qui cède, et qui n’exige pas avant de céder que l’homme s’engage, par contrat solennel, dans les formes arrêtées par les lois, et sous la garantie de la société tout entière, à partager avec elle toutes les joies et toutes les douleurs de la vie, commet une trahison, une forfaiture, un crime enfin, et, de sa nature, un crime inexpiable, envers