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acclamations de la foule qui couvrait les deux rives du fleuve, escorté par une flottille de dix-huit bateaux à vapeur dont les salves d’artillerie étaient répétées par tous les vaisseaux de la rade et du port. Debout à l’arrière du navire, et la tête découverte, le général saluait la foule qui attendait son débarquement, comme un souverain qui prend possession de ses états. Il fit son entrée à la Nouvelle-Orléans au milieu d’un immense cortège formé de ses anciens compagnons d’armes, tandis que les dames de la ville recevaient et accompagnaient Mrs Jackson. Les fêtes données en son honneur durèrent sans interruption pendant quatre jours, et provoquèrent les manifestations sans cesse renouvelées d’un indescriptible enthousiasme.

Plus on approchait de l’élection, plus la lutte prenait un caractère d’âpreté et de violence grossière jusqu’alors inconnu. Depuis que la désignation des candidats à la présidence avait cessé d’être abandonnée à des hommes politiques accoutumés à la discussion des grands intérêts publics, les masses populaires étaient elles-mêmes descendues dans l’arène avec leurs passions ardentes et leurs entraînemens aveugles, et c’était à des politiciens d’ordre inférieur, Warwicks de carrefour ou de cabaret, qu’elles demandaient de leur dicter le nom de leur premier magistrat. Il fallait bien leur parler leur langue et flatter leurs instincts. Les calomnies dirigées contre Adams et Clay furent bruyamment et cyniquement comportées : elles appelèrent des représailles. Jackson fut à son tour violemment attaqué dans sa vie publique et dans sa vie domestique; on ne se borna pas à lui reprocher son mépris systématique du droit, ses arrestations illégales et les exécutions militaires qu’il avait ordonnées; on ne se contenta pas d’apposer d’immenses affiches sur lesquelles étaient représentés des cercueils avec les noms de ses victimes. Les attaques de ses ennemis n’épargnèrent ni la mémoire de sa mère ni l’honneur de sa femme, tandis que ses partisans, dépassant toute mesure dans l’outrage, accusaient effrontément l’austère Adams d’avoir trafiqué de la beauté et de la vertu d’une jeune Américaine pour se concilier la faveur du czar pendant sa mission à Saint-Pétersbourg[1] !

Le résultat de l’élection ne surprit personne. Sur 261 suffrages, Jackson en réunit 178, tandis que 83 seulement se portaient sur le nom du président sortant. Calhoun fut réélu vice-président par 171 voix.

J. Q. Adams ressentit douloureusement l’ingratitude de ses concitoyens; et au moment de quitter le pouvoir qu’il avait si dignement et si sagement exercé, il traça dans son journal ces lignes empreintes d’une mélancolie profonde :

  1. J. Q. Adams, by John Morse, p. 210.