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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/610

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contre le père de la tragédie. « Oui, s’il a couronné Racine de fleurs académiques, c’est, dit-il, pour l’immoler en sacrifice sur les autels de son idole,


Vainqueur des deux rivaux qui partagent la scène. »


Mais ce fut surtout en face de Voltaire que se déchaînèrent les fureurs d’une épée qui a des perfidies de poignard. Zaïre elle-même ne l’attendrit pas: jugez-en par cette boutade: « Femmes sensibles, puisque votre bonheur est d’être trompées, craignez de regarder Voltaire dans son cabinet, préparant avec un sourire malin les filets où il veut vous prendre, rassemblant autour de lui toutes ses machines dramatiques : ici les Turcs, là les chrétiens ; la croix et les palmes d’un côté, les turbans et le croissant de l’autre; tantôt Jésus, tantôt Mahomet; Paris et la Seine à droite, Jérusalem et le Jourdain à gauche ; mettant tous les sentimens, toutes les passions en salmis, la religion, la galanterie, la nature, la jalousie, la rage, pêle-mêle: espèce de chaos tragique où l’on fait l’amour et le catéchisme, où l’on baptise, et l’on tue. Il y en a pour tous les goûts ; peu de sens et de raison, beaucoup de tendresse, de fureur et de déclamations. En voyant tout l’échafaudage de cette pièce turco-chrétienne, on est vraiment honteux d’être dupe de ce charlatanisme. » Ailleurs, se tournant vers les jeunes gens, il s’écrie : « Le théâtre de Voltaire vous accoutume à écrire d’une manière lâche, vague et incorrecte, à nous donner pour des vers de la prose rimée, enflée de grands mots, à faire ronfler dans un pompeux galimatias des sentences obscures, à tromper le vulgaire, à vous admirer vous-mêmes, à travailler en toute hâte, et à vous moquer du public. » Telle est la conclusion des diatribes où Geoffroy discrédite des vérités incontestables par un dénigrement forcené.

Ce malappris qui desservait « le temple du Goût, » n’osa-t-il pas se permettre les impertinences que voici : « Voltaire jouait en Europe le rôle du grand lama. On sait que ce dieu terrestre envoyait aux monarques du Thibet de petits sachets pleins de ses ordures pulvérisées, et que ces princes les vénéraient comme des reliques. C’est ainsi que les philosophes adoraient les grosses bouffonneries du vieillard en goguette. » On s’explique les tempêtes soulevées par ces plates facéties. L’insulteur devait s’attendre à être payé de même monnaie, lui qui ne se gênait pas plus avec les vivans qu’avec les morts. Quelle morgue de cuistre, lorsqu’il tance un téméraire qui avait reproché des contresens au traducteur de Théocrite ! « M. Chénier, dit-il, imite ces gens du peuple qui prétendent savoir écrire, sans même savoir lire. Il se flatte de connaître le grec, lui qui ignore le latin, dont il n’apprit jamais un mot au collège ; j’en