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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/611

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suis témoin! Pour avoir dédaigné d’être écolier dans ses classes, il le sera toujours dans le monde. » Mais ce ne sont là que douceurs, en comparaison des invectives déversées sur la tête de l’abbé Morellet, qu’il appelle publiquement « théologien renégat, juge incompétent de l’honneur, bas parasite, perturbateur des lois, charlatan méprisable, effronté menteur, insigne faussaire. » Il l’accuse de « vendre pour de l’argent des chimères, des erreurs et des sottises, d’abuser les ministres pour attraper des pensions, et de se faire payer des ouvrages qu’il ne fait pas. »

Il est vrai qu’il était en droit de légitime défense contre de méchantes rumeurs trop complaisamment acceptées. Elles eurent assez de crédit pour se glisser jusque dans l’intérieur du journal qu’il avait rendu si populaire. Le 15 mars 1812, on put y lire une lettre signée par un vieil amateur qui, se plaignant de la décadence du théâtre, en recherchait les causes, et laissait planer des soupçons sur les motifs de l’éloge ou du blâme distribués aux auteurs ou aux artistes. Sous ce masque Geoffroy reconnut son confrère Dussault ; et, prenant pour lui des allusions fort transparentes, il se crut obligé d’y répondre par une apologie évasive, où il paraphrasa fièrement ce mot de Louis XIV à un courtisan qui critiquait Versailles : « Je m’étonne que Villiers ait choisi ma maison pour en dire du mal. » Toujours est-il qu’il resta ferme à son poste jusqu’en 1814 ; ce qui suffit peut-être à justifier sa mémoire. Ce n’est pas d’ailleurs impunément qu’on défie les cabales, les coteries, les partis, les passions, les vanités, les intérêts, et qu’on devient une sorte de potentat aussi envié que redouté. La calomnie est voisine de toute dictature. Or celle de Geoffroy pesait à bien des ennemis qui saluèrent sa mort de cette épigramme :


Nous venons de perdre Geoffroy.
— Il est mort? — Ce soir, on l’inhume.
— De quel mal? — Je ne sais. — Je le devine, moi;
L’imprudent, par mégarde, aura sucé sa plume.


III.

Toutes les qualités morales qui commandent le respect s’allieront à de vastes connaissances et au don de l’invention chez un autre écrivain, François Hoffmann, qu’un arrêt de Geoffroy avait condamné à ne faire que des opéras[1]. Ce pronostic ne l’empêcha pas d’être

  1. En 1802, dans une querelle où Hoffman avait défendu, plume en main, son opéra d’Adrien, Geoffroy lui dit : « Croyez-moi, laissez là ces dissertations, et ne faites que des opéras. »