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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/764

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sifflet[1]. Mais, à une époque de passions religieuses et politiques comme la nôtre, qui donc, pape, roi, ou parlement est assuré d’être toujours respecté ? Quel pouvoir, quel souverain peut se flatter d’être à l’abri de l’outrage ou de la violence ? Le tsar de Russie peut sur son passage rencontrer des bombes et l’empereur d’Allemagne des arquebusades ; comment des contemporains de Solovief et de Sophie Perovsky, de Hœdel et de Nobiling, de Moncasi et de Passanante ne confesseraient-ils pas qu’à cet égard la royauté est une assurance manifestement insuffisante ? Vous prétendez qu’il n’y a de sécurité ni de liberté que dans la souveraineté ; et, d’après votre raisonnement, le monarque le plus absolu ne serait pas libre ! Mais pourquoi le pape se montrerait-il sous ce rapport plus exigeant ou plus timide que les princes dont la vie est en butte à mille conspirations ? Pourquoi redouterait-il plus une parole malsonnante ou un geste équivoque qu’un prince temporel une balle ou un poignard ? Car, jusqu’ici, malgré les haines amassées contre l’église, aucun bras en Italie ne s’est levé contre la vie du pape. Et, si quelqu’un a le droit de redouter une insulte plus qu’une bombe, est-ce le serviteur des serviteurs du Christ, le vicaire de celui qui a dit de tendre la seconde joue à la main qui vous frappe ? Non, prêter à Léon XIII de telle craintes, c’est faire injure à son caractère ou à sa piété. S’il n’ose paraître hors du Vatican, c’est moins par peur de dangers que son courage braverait sans hésitation, ou par appréhension d’inconvenances que notre police réprimerait promptement, que par crainte d’être accueilli dans les rues de Rome avec la pieuse vénération des uns et l’indifférence des autres, par crainte de montrer lui-même au monde qu’il est libre de ne plus pouvoir crier à la persécution et à la captivité. Là, pour les hôtes du Vatican est le vrai danger. Assurément, il peut être désagréable au saint-père de parcourir en simple particulier les rues de la ville où ses prédécesseurs ont si longtemps régné ; il peut lui être pénible d’assister en spectateur impuissant à la transformation moderne de Rome, à la sécularisation de la ville éternelle ; mais, de ce que, dans la Rome italienne, le pape serait exposé à rencontrer des spectacles choquans pour ses yeux, exposé à passer devant des chapelles hétérodoxes, naguère reléguées en dehors des murs, ou à découvrir à l’étalage des libraires des livres condamnés par l’index, s’ensuit-il vraiment que Léon XIII n’est pas libre de sortir du Vatican ? Eu quelle ville alors, en quelle capitale de l’Europe le souverain pontife se sentirait-il

  1. « Certo Léon XIII non è libero, se vuol essor s’curo che, uscendo, nessuno gli gitti una parola d’insulto o un fischio… » (Bonghi, Leone XIII e il Governo italiano, p. 27.)