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en granit ou en syénite sont couverts de figures colossales de crocodile et de tigre, gardiens sans doute des images du soleil et de la lune, les dieux suprêmes des indigènes de l’Amérique du Sud. Toutes ces figures, ces cariatides sont d’une facture grossière; elles montrent, comme celles de l’Amérique du Nord, une absence complète de goût, l’impossibilité absolue de reproduire fidèlement les objets. Que faudra-t-il donc dire d’une statuette ou plutôt d’une ébauche informe qui est aujourd’hui au musée du Louvre? Une femme cache son sein et foule aux pieds l’organe viril. Cette attitude a paru suffisante pour faire voir dans cette statue une de ces fabuleuses Amazones qui, selon la tradition, se rendaient chaque année, à un jour fixé, sur les bords du Yamunda. C’était là que les attendaient leurs amans qui, en récompense de leurs services, recevaient une idole en jade vert appelée muirakitan et représentant un crapaud, une grenouille, ou tout autre animal. Si la légende est vraie, il faut en conclure, ou que l’art n’existait pas encore, ou que les Amazones étaient peu satisfaites de leurs maris d’un jour; les muirakitans venus jusqu’à nous sont certainement inférieurs même aux figurines recueillies dans les dépôts de guano ou dans les sambaquis du Brésil.

Sur les rives du Pacifique, nous n’avons que l’embarras du choix, et il est facile de donner les exemples d’un art que l’on ne saurait mieux comparer qu’à celui du Guatemala Un bloc de granit auprès de Macaya, connu sous le nom de la Piedra de Leon, est chargé de sculptures que l’on s’accorde à regarder comme très anciennes; le groupe le plus important représente la lutte corps à corps d’un homme et d’un puma. Ce n’est plus là un essai informe, les figures ont du mouvement; l’homme et l’animal luttent véritablement. Auprès de la petite ville de Nepen, on voit un serpent colossal; à une faible distance d’Arequipa, des arbres et des fleurs; plus loin, des bisons dont les narines percées portent des anneaux mobiles sculptés dans la même pierre. Aux Pintados de las Rayas, ce ne sont plus des objets animés, mais des figures géométriques, des cercles, des rectangles, dont il est malaisé de préciser le sens. Dans la province de Tarapaca, des surfaces considérables sont couvertes non-seulement de figures d’hommes et d’animaux, la plupart d’un assez bon travail, mais encore de caractères véritables écrits verticalement. Les lignes ont de 12 à 18 pieds de longueur, et chaque caractère est gravé à une assez grande profondeur. Ce n’est point là un fait isolé; auprès de Huara, on cite des inscriptions devenues très frustes, et entre Mendoza et la Punta (Chili) un grand pilier où l’on a voulu voir des lettres offrant quelque analogie avec l’alphabet chinois. Tout cela est assez vague, et quelque disposés