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sont si faciles qu’ils n’envoient pas au cerveau un excédent de stimulation nerveuse : ils expirent avant de l’atteindre, comme une vague qui meurt avant d’atteindre nos pieds. Tels sont les phénomènes vraiment inconsciens ; mais, remarquons-le bien, ce ne sont pas des phénomènes mentaux ; ils ne sont inconsciens que là où ils sont exclusivement mécaniques, physiques, chimiques ou physiologiques, sans mélange d’aucun élément psychique.

Maintenant, dans les états de conscience eux-mêmes, il doit exister des degrés innombrables, depuis la conscience la plus obscure jusqu’à la plus claire. Les phénomènes de conscience obscure, qui devraient s’appeler subconsciens, sont trop souvent confondus avec les phénomènes inconsciens. Ils comprennent en premier lieu les états mentaux de faible intensité et de faible durée. Tels sont les mouvemens par lesquels nous tournons les pages d’un livre. Ces mouvemens sont consciens à un faible degré parce qu’ils partent du cerveau et de la conscience centrale ; mais, comme le remarque Stuart Mill, ils sont oubliés à mesure qu’ils sont produits. De plus, comme ils se ressemblent tous, ils se fondent dans le souvenir : on se rappelle avoir tourné les pages, mais non telle page. Les phénomènes subconsciens comprennent encore les états de conscience composés dont les parties ne sont pas distinctes. Ces parties produisent dans la conscience un effet réel et actuel, mais perdu dans un total comme une voix dans un chœur de musiciens, ou comme une série d’harmoniques dans le timbre d’un instrument de musique. Par exemple, l’enfant qui s’endort pendant que sa mère chante est souvent réveillé par le silence. La voix de sa mère formait dans sa conscience comme une pédale sourde et continue mêlée à sa conscience générale ; le silence, en supprimant cette partie intégrante de la conscience totale, produit un contraste qui réveille. Ce qui demeure ainsi inconscient pour l’intelligence, faute de contraste, peut ne pas être inconscient pour la sensibilité, qui éprouve alors un état général sans en discerner les élémens. La conscience intellectuelle et réfléchie n’est pas nécessaire, comme on le croit trop souvent, à la conscience purement sensible, qui est toute spontanée et immédiate.

Ainsi, jusqu’à présent, l’observation ne nous révèle que deux sortes de phénomènes : 1o des faits physiques inconsciens ; 2o des faits mentaux consciens ou subconsciens. Il nous reste à apprécier à leur juste valeur les argumens qu’on apporte en faveur de faits mentaux inconsciens. Ces argumens eux-mêmes portent sur deux points principaux : les uns ont pour but d’établir l’existence d’une volonté inconsciente, les autres celle d’une intelligence inconsciente.