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II.

Sous l’activité instinctive et sous l’action réfléchie on doit également admettre, à en croire M. de Hartmann, une volonté inconsciente qui poursuit un but par des moyens appropriés et qui cependant ne se représente pas le but ou les moyens. Le jeune écureuil, qui ne connaît point encore l’hiver et le manque de nourriture, fait cependant d’avance sa provision de noisettes ; certains animaux accumulent des provisions auprès des œufs de leurs petits qu’ils ne verront jamais éclore ; selon M. de Hartmann, c’est l’inconscient qui les fait alors agir en vue de certaines fins dont ils n’ont point la connaissance. On reconnaît là l’antique « finalité » sous sa forme la moins scientifique, car qu’y a-t-il de plus voisin des entités du moyen âge ou des mythes de l’antiquité qu’une « volonté inconsciente, agissant en vue d’une idée inconsciente par une logique inconsciente ? » C’est l’extrémité opposée à l’opinion de Maudsley, qui, lui aussi, élimine la conscience des actions instinctives, mais pour les réduire à un automatisme brut. Selon nous, il y a un milieu entre ces deux extrêmes : finalité inconscience et automatisme inconscient. L’instinct suppose, à nos yeux, deux facteurs qui concourent à le produire : les lois du mécanisme et les lois de la sensibilité. Tous les partisans des causes finales voient dans les instincts et dans les actions des animaux une multitude de motifs inconsciens qui les guident, une sagesse intellectuelle qu’ils posséderaient sans s’en douter : la vraie méthode procède et conclut autrement. En premier lieu, l’effet d’un mouvement instinctif, qui nous paraît calculé en vue d’un but, dépend avant tout de la forme des organes ; si, par exemple, les nerfs se trouvent disposés de telle sorte que, sous une irritation extérieure, ils fassent nécessairement contracter la jambe, le résultat dernier du mouvement, qui est d’échapper à l’objet nuisible, sera simplement l’effet mécanique lié à la forme de l’organe. En second lieu, la forme même de l’organe dépend de la sélection naturelle ; c’est celle-ci qui a assuré la conservation des organes utiles à la vie. Un être qui n’aurait pas réagi contre les obstacles de manière à les écarter mécaniquement n’aurait pu se conserver ni perpétuer son espèce. Il n’est donc pas étonnant que nous trouvions dans l’effet d’un mouvement instinctif une convenance, une appropriation ; mais cette convenance tient à la sélection mécanique, non à des motifs inconsciens ou à un dessein inconscient que suivrait l’animal.

On peut citer en exemple les intéressantes études sur les holothuries que M. Schneider a faites sur les côtes de Sicile. On sait que l’holothurie tubuliforme rejette parfois par la bouche toutes ses