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de l’erreur. En attendant, les argumens sifflent comme des boulets d’un camp à l’autre, et probablement qu’il se dépensera encore beaucoup d’encre avant que la paix soit signée. C’est facile dans la langue parlée de dire : Il fait beau temps, quand il fait beau, ou de dire : Il pleut, quand il pleut; dans la langue des sons, la chose est plus malaisée. Décrire le jour et la nuit, le chaud et le froid, l’automne et l’hiver, la neige et la pluie, le clair et l’obscur, nous montrer du jaune et du bleu, distinguer l’épaisseur de la transparence, la ligne droite de la ligne courbe, impossibilité qu’il faut pourtant bien s’avouer! Alors commence la musique à programme, à prologues, annotations, intercalations et commentaires, la musique qui cesse d’être de la musique et c’est là que les épilogueurs ont vraiment beau jeu :


Nos pères sur ce point étaient gens fort sensés,


ils avaient une sorte de dictionnaire d’analogies physiques et météorologiques et ils s’y tenaient, usant de procédés commodes et compris de tous pour faire gronder le tonnerre, hurler les loups, courre le cerf, tourner le moulin, roucouler la tourterelle et gazouiller le ruisseau. Ce genre de pittoresque, dont la scène de la Wolfschlucht, dans le Freischütz, nous offre un si parfait modèle, durera vraisemblablement autant que le théâtre, mais j’estime que la musique instrumentale n’en tirera plus grand profit. C’est surtout du phénomène psychologique qu’elle fit et qu’elle vivra de plus en plus dans l’avenir. Étudier l’être moral, creuser, analyser, traduire au dehors les intimes secrets de la conscience, en un mot, suivre en l’élargissant si c’est possible, la voie ouverte par Beethoven, il n’y a pour elle désormais de salut et de progrès que de ce côté.


F. DE LAGENEVAIS.