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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/234

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seulement, il ne croit pas le moment venu et la raison qu’il donne est au moins singulière : « C’est que l’église a encore malheureusement dans le pays une grande autorité sur les âmes, » Si elle avait aujourd’hui sa liberté par la séparation des pouvoirs, elle serait capable d’en profiter pour reconquérir son ascendant. Voilà le péril ! Il vaut bien mieux procéder avec ordre, avec méthode et commencer par se servir du concordat pour réduire l’église à merci. Il faut avant tout s’occuper de ramener le budget des cultes dans les plus strictes limites, supprimer les bourses ecclésiastiques, prier « monseigneur » de quitter son palais épiscopal qui appartient à l’état, faire sortir aussi les séminaristes des maisons qu’ils habitent, traiter de Turc à Maure les malheureux prêtres qui ne se montreront pas assez républicains, qui n’auront pas illuminé le 14 juillet. Puis, quand on aura fait cela pendant quelques années, quand on aura formé « des générations nouvelles débarrassées de tous les préjugés et de l’esprit des ténèbres, » on verra ; il n’y aura plus qu’à pousser « le colosse aux pieds d argile, » l’église, pour la « précipiter par terre. » On en sera délivré ! En d’autres termes, M. Paul Bert prétend se servir de l’acte qui a contribué à maintenir la paix religieuse depuis quatre-vingts ans pour détruire méthodiquement la paix religieuse. Le système est simple, il est surtout franc, honnête et libéral pour un ancien ministre des cultes et pour un républicain. M. Paul Bert développe imperturbablement ses idées avec la satisfaction d’un homme qui croit avoir découvert le secret de la grande politique, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’après avoir parlé ainsi un jour à Grenoble, il se croit obligé le lendemain, à Saint-Étienne, de fulminer contre ses anciens amis, les radicaux, les « intransigeans. » M. Paul Bert ne ménage pas les « intransigeans » de l’extrême gauche ; il les traite comme de simples curés de village ou des évêques, et, au besoin, il a recours au répertoire de Rabelais pour donner plus de montant et de couleur à ses vitupérations contre les radicaux. Il les accuse d’être des fous, des inconséquens, des alliés de la droite, des hommes de négation, des esprits absolus, — de ne rien comprendre, ni les merveilles de la loi sur la magistrature, ni le système savant de la « guerre au cléricalisme, « ni la politique suivie au Tonkin. Puis, après avoir tout dit, il se repose en s’avouant à lui-même qu’il a parlé avec « une rude franchise, » qu’il est décidément un homme fait pour le gouvernement ! Voilà vraiment un chaud ministériel venu fort à propos pour servir de lieutenant à M. Jules Ferry dans la campagne contre l’intransigeance.

Eh bien ! c’est ici justement la question. M. le président du conseil entend-il marcher avec des ministériels comme M. Paul Bert et pratiquer la politique religieuse dont l’ancien ministre des cultes semble faire une tradition, une loi acceptée par le gouvernement ? Non,