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membres du cabinet semblent vouloir donner aux affaires du pays, qu’ils ont encore à faire accepter, et c’est ici que la partie reste plus vivement engagée, plus animée, peut-être dIus obscure et dIus indécise que jamais.

Le fait est, que jusqu’ici, à en juger par les manifestations de toute sorte, par le langage et par les actes de tous ceux qui ont un rôle dans cette étrange partie, la situation n’est rien moins que claire. Nous tous qui sommes réduits à attendre ce que les grands joueurs du moment feront de nous, nous cheminons dans l’ombre, et nous demanderions volontiers, nous aussi, « un peu de lumière. » La lumière est faite désormais, assure-t-on ; la politique ministérielle a gagné la partie, elle a trouvé la majorité « la plus puissante, la plus homogène » qui ait jamais existé. Voilà qui est au mieux ! Qu’en est-il cependant ? Comment explique-t-on tant de contradictions qui éclatent aujourd’hui et dans les discours et dans les actes.

M. le président du conseil, nous en convenons, s’est exprimé avec une certaine énergie, avec une certaine apparence de résolution au Havre ; il a eu le ton et l’accent d’un homme décidé à en finir avec toutes les ambiguïtés. Il a parlé d’un « abîme » qui se serait creusé entre la république modérée, dont il se disait le représentant, et le radicalisme révolutionnaire ; il a déclaré la guerre aux radicaux en opposant à leur drapeau un drapeau de modération et de sagesse. M. le président du conseil a si bien fait qu’on a pris son discours pour le manifeste d’une politique. M. le ministre de l’intérieur, à son tour, est allé, il n’y a que quelques jours, à Tourcoing, et il s’est piqué d’émulation, confirmant et accentuant de son mieux le langage du chef du cabinet contre les fractions extrêmes. Il n’a point hésité à avouer que, dans ces dernières années, « à certaines heures, on a pu se demander si, par un parti-pris de condescendance, de faiblesse, de chevalerie pour ainsi parler, on n’avait pas permis à des minorités impuissantes d’exercer sur la direction générale des affaires comme une inflexion et de lui imprimer comme une faussure… » Ce n’était pas sans doute la peine d’imaginer un mot baroque pour exprimer une idée juste. N’importe, avec ou sans faussure, M. Waldeck-Rousseau a dit leur fait à tous ceux dont la politique turbulente ne conduit qu’à une « stérilité funeste, » et il s’est fait un devoir d’exalter M. Jules Ferry pour avoir « dénoncé ce pacte de condescendance dont le résultat le plus clair était, pour le gouvernement, de paraître solidaire d’une certaine opposition. » Le jeune ministre de l’intérieur n’a même pas ménagé aux radicaux les traits d’une raillerie froide et acérée. Bref, le discours de Tourcoing n’est sûrement pas fait pour combler « l’abîme » dont avait parlé avant lui le discours du Havre. Jusque-là, c’est fort bien, on commencerait presque à voir se dessiner une intention de gouvernement modérateur ; mais, d’un autre côté, voici M. Paul