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feuille de route. L’abbé ne réclama aucun sursis, et demanda pour toute faveur de rentrer dans son ancien régiment. La 35e demi-brigade, devenue la 106e par suite de la seconde formation de l’armée prescrite en 1796, était alors à l’armée d’Italie. On sait les difficultés qu’il y a à trouver un régiment que les dispositions de la stratégie, fréquemment contrariées par les mouvemens de l’ennemi, font sans cesse changer de place. Il fallut six semaines au malheureux soldat, renvoyé de dépôt en dépôt, de division en division, de bivouac en bivouac, pour rejoindre son corps. Enfin, le 25 octobre 1798, il retrouva dans la vallée du Tessin a sa tant désirée demi-brigade. » Le mot est à noter. Il prouve qu’arrivé à l’armée, comme tant d’autres, avec des défiances et des regrets, l’abbé s’était, comme tant d’autres, fait sans peine à la vie militaire, avait pris l’esprit de corps, connu la fraternité du drapeau et trouvé une famille dans le régiment.

Pendant ses campagnes en Italie, le jeune abbé conserve la bonne humeur qui l’animait à l’armée du Nord. Il ne cache pas d’ailleurs les souffrances et les privations des troupes sous le gouvernement du directoire : le désordre de l’administration militaire, le dénûment, la disette, les caisses sans argent et les magasins sans vivres. Tantôt ce sont deux régimens de cavalerie qu’on renvoie en France, faute de pouvoir assurer les subsistances pour les chevaux; tantôt c’est une révolte qui éclate parmi les troupes stationnées dans l’Apennin, lesquelles ne sont plus ni nourries ni payées. Dans Gênes assiégée, la ration est réduite au tiers, puis au quart, puis enfin à une poignée de pois secs ; aux avancées, les soldats se nourrissent avec des olives vertes et des écorces de citrons desséchés sur les arbres. Au milieu des épreuves, l’esprit militaire n’abandonne pas l’abbé. Non-seulement il supporte avec fermeté les dangers, les fatigues, le froid, la faim, mais il en plaisante et trouve sur tout le mot pour rire : « Après le combat, nous rentrons dans nos cantonnemens, à jeun et trempés comme les soupes que nous n’avons pas. ..Nous avions grand besoin de repos après cette promenade d’agrément (sept jours de marche forcée dans la neige) ; on nous laissa en effet tranquilles quelque temps, mais sans mieux nous nourrir, au contraire... Par extraordinaire, nous avons eu ce matin nos rations de pain, mais, selon toute apparence, nous jeûnerons encore plus d’une fois. Nous sommes excédés de fatigue, obligés d’entretenir un grand nombre de postes, d’être sans cesse sur le qui-vive, métier pénible pour des gens aussi sommairement nourris. C’est ainsi que nous nous reposons en attendant la reprise des opérations. » Malgré tout, la confiance du jeune soldat persiste : « L’ennemi veut nous épuiser d’avance pour nous accabler plus sûrement... Il en sera ce que