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qu’on les augmente chaque année avec une très louable sollicitude, sont encore insuffisantes. Les séances de tir se font presque partout avec une précipitation fâcheuse. On ne peut développer l’adresse individuelle que par un enseignement individuel. Malheureusement le temps laissé aux instructeurs est généralement trop faible. Le capitaine amène sa compagnie sur le terrain, à une heure qui lui est imposée par le tour de roulement, car le polygone ne lui appartient pas. Le champ de tir est la propriété commune de toute la garnison : toutes les troupes qui en font partie y viennent à tour de rôle, dans un ordre de succession déterminé, pour un nombre d’heures limité. Pour faire tirer six balles à chacun des hommes de la compagnie, sans parler des retardataires auxquels il faut encore consacrer une partie de la séance, on n’a pas de temps à perdre en observations, qui seraient pourtant profitables. Aussi l’instruction est-elle souvent défectueuse. En Prusse, chaque régiment a son champ de tir qui lui appartient en propre. Les capitaines y vont à leur heure, car s’il est utile de savoir tirer quel que soit le temps, on n’apprend fructueusement que par des temps favorables. Il en est de même en toutes choses : quand on saura nager, on bravera les fortes mers; mais, pour apprendre, on doit profiter des momens de calme. Les officiers allemands n’emmènent sur le terrain que de petits détachemens : des fractions de six à huit hommes, par exemple, et, de cette façon, ils les instruisent individuellement.

La création de champs de tir régimentaires en France compléterait heureusement l’ensemble des mesures prises pour développer les qualités de notre infanterie. L’établissement d’une école normale de tir et de trois écoles régionales fortement constituées, la rédaction récente d’un règlement sur l’instruction de tir (11 novembre 1882), toutes ces innovations, excellentes en elles-mêmes, ne serviront de rien si la pratique laisse à désirer, si les stands militaires et civils ne se développent pas.


Avec notre fusil tel qu’il est, moyennant que nous apprenions à nous en servir, nous pouvons affronter la rencontre de n’importe quelle infanterie européenne, dans l’état actuel de l’armement. Si même nous voyons quelque puissance adopter un fusil plus perfectionné, nous n’aurons rien à redouter si nous continuons nos exercices; nous aurons même lieu de nous réjouir si, à la suite de cette adoption, l’armée voisine, — confiante dans la supériorité intrinsèque de son armement, — vient à négliger la pratique du tir et à déserter les stands. Pour nous, à l’heure où nous sommes, il y a certainement beaucoup à faire encore, mais il n’y a rien de compromis.