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ce célèbre Callot. Si, comme l’a prouvé M. Meaume[1], Claude n’avait pu connaître aucun de ces artistes en Italie, il savait du moins que les arts étaient en honneur à la cour de Lorraine et qu’il avait quelque chance de s’y créer une situation. Il se décida donc à quitter Rome vers la fin du mois d’avril 1625 et, en passant par Venise, le Tyrol, la Bavière et la Souabe, il regagna son pays natal. Un de ses parens, ami de Deruet, l’ayant mis en relations avec cet artiste qui jouissait à ce moment de la faveur du duc Charles III, Claude fut employé à la décoration de la chapelle des Carmes et chargé d’abord d’y peindre des figures, puis des ornemens d’architecture. Mais ce genre de travail ne convenait guère à son talent et il en fut tout à fait dégoûté à la vue d’un accident qui avait failli être mortel à l’un de ses compagnons, occupé sur un échafaud voisin du sien. Peut-être aussi avait-il reconnu l’inutilité de ses efforts pour se faire en Lorraine la vie qu’il avait rêvée. A distance, d’ailleurs, les séductions de la nature italienne revenaient en foule à son esprit et, avec elles, le charme de la liberté dont les artistes jouissaient à Rome et l’émulation qu’ils y trouvaient. Il résolut donc, vers le milieu de l’année 1627, d’abandonner de nouveau sa patrie, et cette fois pour ne plus la revoir.


II

Agé de vingt-sept ans, Claude rentrait dans Rome deux ans après l’avoir quittée, encore inconnu, probablement presque aussi misérable. N’y avait-il pas de quoi décourager une vocation à laquelle il avait déjà fait tant de sacrifices et dont il semble que des épreuves et des mécomptes si nombreux auraient dû le détourner ? Mais, loin de se rebuter, il s’était aussitôt remis avec une nouvelle ardeur à l’étude. Peut-être le règlement de ses affaires à Chamagne ou le paiement des décorations exécutées à Nancy lui avaient-ils procuré quelques modiques ressources, car son premier soin fut de se louer, dans le voisinage du Panthéon, un logis où il pût travailler à sa guise. Ce qu’il avait appris jusque-là chez ses différens maîtres était peu de chose. Mais, s’il n’avait pas tiré grand profit des enseignemens d’autrui, il avait été plus heureux dans ceux qu’il avait déjà directement demandés à la nature. C’est de ce moment de sa vie que datent ces études consciencieuses, désintéressées, opiniâtres qui, en mûrissant son talent, allaient enfin lui assurer, avec une existence moins difficile, une réputation bien légitime ; c’est aussi sur cette période de son développement artistique que nous commençons à avoir des renseignemens plus détaillés, recueillis par un témoin qui mérite toute notre confiance.

  1. M. E. Meaume, Recherches sur Claude Deruet. Nancy, 1854.