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En même temps que Claude rentrait à Rome, un jeune artiste y arrivait qui, pendant les huit années qu’il a passées en Italie, devait contracter avec lui une étroite amitié. Comme Elsheimer, Joachim de Sandrart était né à Francfort. De six ans plus jeune que Claude, il avait eu une existence singulièrement plus facile. Sa famille était noble, et l’aisance dont elle jouissait lui avait permis, quand il avait voulu s’adonner à la peinture, de trouver toutes les ressources d’instruction qu’il pouvait souhaiter. Entré dans l’atelier de G. Honthorst, à Utrecht, il y eut comme condisciples plusieurs artistes qu’il devait plus tard retrouver en Italie. Quand, après la perte d’Isabelle Brandt, sa première femme, Rubens, pour se distraire de sa douleur, entreprit une courte excursion en Hollande, Honthorst, qui avait dû l’accompagner, étant malade à ce moment, chargea son élève de le remplacer. Le maître d’Anvers, alors à l’apogée de sa gloire, s’était montré plein de prévenance et de bonté pour le jeune homme, et celui-ci, grâce à cet auguste patronage, avait pu pénétrer (chez quelques-uns des artistes hollandais les plus célèbres. Aimable, inspirant bien vite sympathie et confiance à ceux qu’il approchait, Sandrart fut ainsi de bonne heure en mesure de recueillir sur un grand nombre de peintres de son époque des informations qui font le principal intérêt du livre consacré par lui à l’histoire de son art[1]. Peu après, en Angleterre, où le conduisit Honthorst, il s’était trouvé en relation avec Charles Ier et avec le comte d’Arundel, le protecteur de Rubens et de Van Dyck, et il aurait pu, en se fixant dans ce pays, s’y créer bien vite une brillante situation. Mais, renonçant à ces perspectives d’avenir, il avait voulu, pour compléter ses études, visiter l’Italie. Il s’y était acheminé par la France, en compagnie d’un de ses propres parens, personnage lui-même assez connu, nommé Michel Le Blon. Orfèvre et graveur de quelque talent, Le Blon commençait aussi à s’occuper du trafic des œuvres d’art, trafic dans lequel la sûreté de son caractère et de son goût lui méritait rapidement l’estime des souverains ou des riches amateurs qui le chargeaient de leurs commandes et de leurs achats.

Avec un tel compagnon, Sandrart pouvait compter sur le meilleur accueil dans tous les ateliers. Une occasion naturelle s’offrait d’ailleurs aux deux voyageurs de nouer, dès leur arrivée, des relations avec ceux des artistes de la colonie cosmopolite qu’ils désiraient connaître ou revoir. C’était l’usage alors pour les peintres d’un même pays de former entre eux des associations qui avaient leurs lieux de réunion et leurs fêtes. Les nouveaux débarqués trouvaient là où prendre langue. Après avoir régalé la troupe, la brigata, ils étaient eux-mêmes reçus de la confrérie et, dans le baptême

  1. Academia nobilissitmœ artis picturœ. Nuremberg, 1683. In-f°.