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situation de véritables talens politiques, il faut lui rendre la justice que, docile à la consigne qu’elle avait reçue, elle ne perdit pas un seul jour pour faire profiter les intérêts de l’état de sa conquête. On pouvait craindre qu’elle n’usât de son crédit pour satisfaire des intérêts et des ressentimens privés. Maurepas tremblait déjà d’être sacrifié, et le bruit même se répandit qu’elle ne laisserait pas le cardinal achever en paix son agonie. L’habile conseil de son maître politique, de celui qu’on appelait déjà à Paris le président de La Tournelle, la détourna de recourir à cet étalage inutile de son pouvoir. C’eût été user ses forces contre un obstacle qui allait disparaître de lui-même. Elle ne demanda donc rien ni pour ni contre personne, pas plus faveurs que disgrâces. Mais au roi, qui lui parlait de son amour, elle ne tarda pas à répondre en lui parlant de sa gloire et de la France, qui attendait un mot de lui pour se relever de son déclin. Ce langage dans la bouche d’une femme aimée avait un charme flatteur et nouveau qui réveillait chez le souverain quelques étincelles d’un amour-propre trop longtemps assoupi. Parfois pourtant, l’impatience le prenait de voir la politique envahir les heures qu’il aurait voulu garder tout entières pour le plaisir. « Savez-vous comment elle me traite ? disait-il à la duchesse de Brancas ; elle ne se mêle des affaires de personne, elle ne trouve pas cela digne d’elle, mais des ministres, de la paix, de la guerre, elle ne cesse de m’en parler : cela me désole. Je lui ai dit plusieurs fois que cela me tuait et savez-vous ce qu’elle m’a répondu ? Tant mieux, sire, il faut qu’un roi ressuscite. — C’est, lui répliqua la duchesse, que son amour n’est pas une faiblesse, et qu’elle a la passion de votre gloire. — Vous avez peut-être raison, dit le roi en souriant[1]. »

Cette attitude de Mme de Châteauroux, bientôt connue dans Paris, où rien ne reste longtemps ignoré, tempéra un peu l’indignation que causaient à tous les cœurs honnêtes de coupables arrangemens domestiques dont les cours ou les familles d’Orient avaient seules jusque-là donné le spectacle. Le désir était si vif de ne pas désespérer tout à fait de ce roi qui portait à lui seul toute la fortune de la France ! C’est ce qui explique que la nouvelle favorite put recevoir, en même temps que beaucoup de flatteries servîtes ou d’outrages mérités, quelques hommages sincères dictés par un patriotisme plus chaleureux que délicat. Tel est le sentiment que je rencontre dans quelques pièces égarées au milieu de grossières satires dont je me garderais bien de salir ces pages, et auxquelles on a le tort de faire aujourd’hui l’honneur de l’impression.

Voici des vers, par exemple, dont le fond et même la forme ne manquent pas d’une certaine élévation.

  1. Mémoires de la duchesse de Brancas, p. 224.