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Ah ! consacre du moins le temps de ta faveur,
Chasse du gouvernail un nocher imbécile :
Il faut pour nous guider une main plus habile.
Comme une autre Sorel, fais entendre à ton roi
Que, seul, dans ses états il doit donner la loi.
Charles se réveilla sous cette fille illustre,
Et la France, à sa voix, reprit son premier lustre.
Dès qu’amour eut parlé, le monarque français
Rentra dans ses foyers et terrassa l’Anglais.
C’est ce même ennemi, dont l’éternelle envie
Veut imposer encore un joug à la patrie.
Pour animer Louis que du justes sujets !
Amour, conduis son cœur, assure ses projets[1] !


On voit maintenant comment Richelieu et Noailles, par des voies étrangement différentes, étaient arrivés à faire retentir aux oreilles du roi le même son. Le concert était pourtant, jusque-là, si peu prémédité, qu’au premier moment tout ce qui portait le nom de Noailles à la cour avait embrassé avec chaleur les intérêts de Mme de Mallly. C’était l’exemple donné par la sœur du maréchal, la comtesse de Toulouse, amie de longue date de Mme de Mailly, et qui se piquait de rester fidèle dans la disgrâce à celle dont elle avait trop complaisamment peut-être accepté la faveur. Malgré cette liaison qui nous surprend, la comtesse jouissait d’une réputation intacte et d’une autorité sociale qui était pour son frère un puissant appui. Son hôtel à Paris était le rendez-vous de tous les amis de la maison de Noailles et le centre de l’influence de cette puissante famille. C’était là que Mme de Mailly, désespérée et sans asile, s’était fait conduire par le carrosse même aux armes royales qui l’emportait loin de Versailles. C’est de là que, pendant les jours d’incertitude qui suivirent, elle adressait des lettres plaintives à son ancien amant, qui, à plusieurs reprises, ne dédaigna pas d’y répondre. Mais c’est là aussi que, quand tout fut décidé, on lui fit savoir que même ce commerce épistolaire devait cesser, et Mme de Toulouse ayant encore essayé une intercession timide : « Voilà un an que cette femme m’ennuie ! lui fit dire sèchement le roi ; il me semble que c’est assez long. » La comtesse elle-même dut alors se le tenir pour dit. Tout ce qu’elle put obtenir pour son amie, ce fut une pension suffisante et un logement honnête où, sous la conduite d’un directeur janséniste (toute la maison de Noailles inclinait vers ce parti

  1. Cette pièce est insérée dans la nouvelle réimpression de Chansons historiques sous la date de 1739 comme adressée à Mme de Mailly. Il y a là une erreur manifeste. En 1739, époque de l’entrée à la cour de Mme de Mailly, la France n’était pas en guerre avec l’Angleterre et n’avait rien à craindre de cette puissance.