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croyait du moins : et c’était pour garantir cet affranchissement conquis en 1830, que Victor Cousin combattit jusqu’au bout.

Cependant, malgré les faits décisifs que nous venons de signaler, on croit généralement que Victor Cousin a été complice de la réaction de 1850, et qu’il a contribué pour sa part à l’abaissement, à l’asservissement de la philosophie à cette époque. Un épisode de peu d’importance en lui-même a singulièrement contribué à répandre et à maintenir cette opinion. Ce fut l’exclusion de M. Taine à l’agrégation de 1851, la dernière qui eut lieu, le concours ayant été supprimé l’année suivante. M. Taine, dont le talent précoce et l’esprit original avaient été des plus remarqués, même à l’École normale, et qui jouissait déjà à cette époque d’une petite célébrité, se présentait cette année-là à l’agrégation. Il fut refusé. De là un grand scandale qui pèse encore sur le nom de Cousin. « Est-il vrai, nous dit-on, que M. Cousin ait fixé ou plutôt figé l’enseignement de la philosophie quand il présidait le concours d’agrégation ? Voilà toute la question ; et je trouve que l’exemple de M. Taine est assez frappant[1]. » Eh bien ! cet exemple si frappant ne prouve rien du tout ; et M. Taine lui-même pourrait répondre à son jeune défenseur qu’il parle de ce qu’il ne sait pas. Si M. Taine a été refusé à l’agrégation, M. Cousin en fut tout à fait innocent ; car il n’y était pas. Cette année-là, en effet, Victor Cousin, beaucoup plus suspect lui-même que M. Taine (lequel était absolument inconnu), avait été écarté du bureau d’agrégation et remplacé par M. Portails, qui n’avait d’autre titre pour cet honneur que d’être le fils du célèbre rédacteur du code civil. S’il y eut une injustice commise, ce que nous ne pouvons pas savoir, s’il y eut un abus de réaction, ce qui est possible, c’est à M. Portalis et à ses collègues qu’en revient la responsabilité ; et même il serait beaucoup plus simple de dire que les juges ne surent pas apprécier le talent du jeune candidat, ou que peut-être lui-même ne sut pas se mettre au niveau d’un examen classique[2]. Toujours est-il que cette preuve d’intolérance si souvent invoquée contre Victor Cousin pèche entièrement par la base puisqu’elle repose sur un fait faux. Que d’ailleurs Cousin fût si hostile au jeune talent indépendant, c’est ce qui p ’ut être réfuté par cet autre fait que, l’année précédente, ou deux ans auparavant, au plus fort de la réaction commençante, le premier agrégé fut un jeune homme qui ne le cède à M. Taine ni pour l’audace de la pensée, ni pour l’indépendance du caractère : c’est M. Challemel-Lacour ; et le jugement que M. Cousin formula dans son rapport sur

  1. Revue internationale de l’enseignement, p. 294, 15 mars 1882.
  2. Cette dernière hypothèse est probablement la vraie, si j’en crois les souvenirs qu’avait conservés un des juges du concours, M. Ad. Garnier.