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logis au quartier du régiment de Figueroa. On le logea dans un pigeonnier attenant à une grange en ruines ; pendant les momens de répit que lui laissait la fièvre, il continuait sa correspondance. Le 16 septembre, il écrivait à Mendoza, l’agent espagnol à Gênes : « Sa Majesté ne résout rien ; du moins, on me tient ignorant de ses intentions. Je pousse des cris, mais en vain. Il est clair qu’on nous laisse ici pour y languir jusqu’à notre dernier soupir. Que Dieu nous conduise tous comme il lui plaît ! En ses mains sont toutes choses. »

Le même jour, il écrit à son compagnon de Lépante, à André Doria : « Je me réjouis que votre vie coule avec tant de calme, quand le monde autour de moi est en tumulte. Vous êtes heureux de passer la fin de vos jours vivant pour Dieu et pour vous-même ; vous n’êtes pas forcé de vous jeter continuellement dans la balance des événemens humains et de vous aventurer chaque jour dans des jeux hasardeux. » Le 20 septembre, il écrit une dernière lettre au roi ; il parle de sa maladie : « Le travail que j’ay ici est fait pour détruire n’importe quelle constitution. » Il montre une fois de plus l’état des Provinces-Unies, les pratiques de l’Angleterre et de la France, l’arrogance des nobles, la désaffection du peuple. Que peut-il entreprendre avec les faibles moyens dont il dispose ? La peste décime sa petite armée ; toutes ses communications sont coupées : « Je demeure ainsi, dit-il, perplexe et confus, désirant plus que la vie une décision de Votre Majesté, cette décision que j’ay implorée si souvent. » Devait-il partir, faire une diversion en Bourgogne, attendre des renforts ? Il se trouvait bien malheureux d’être abandonné par le roi, qu’il avait servi, comme homme et comme frère, avec toute fidélité et tout dévoûment : « Nos vies sont en jeu et tout ce que nous demandons, c’est de les perdre avec honneur. »

Quand ces lignes désespérées passèrent sous les yeux du roi, celui qui les avait dictées n’était plus ; au moment même où il les envoyait, il n’espérait plus rien, il se sentait mourir. Il dit à son confesseur, le frère Francisco Orantes, qu’il y avait quelque avantage à être pauvre, puisqu’on n’avait point la peine de faire un testament.

Le 25 septembre, il se confessa et, le dimanche 28 septembre, il reçut la communion. Il fit appeler le prince de Parme, lui délégua tous ses pouvoirs civils et militaires et, sous le bon plaisir du roi, l’institua gouverneur-général des Pays-Bas. Il exprima le désir que son corps fût enterré à l’Escurial, auprès de son illustre père : c’était le plus grand honneur qu’il eût jamais désiré ; mais si le roi ne pouvait faire droit à cette prière, il voulait que son tombeau fût dans l’église de Notre-Dame de Montserrat. Les jours suivans, il endura