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Je n’ai pu lire ces vers sans émotion, car le sentiment qu’ils expriment est d’une poignante sincérité. Est-ce que l’on ne crève pas les yeux aux rossignols pour rendre leur chant plus harmonieux ?

J’ai voulu visiter l’infirmerie, qui est dans une demi-obscurité plaisante ; les lits étaient vides, nulle malade n’y souffrait. Elle est installée, dit-on, dans l’ancienne chambre à coucher de Mme de Chateaubriand, chambre bien restreinte pour la femme d’un chevalier de la Toison d’or, d’un ancien ministre des affaires étrangères, pair de France, ambassadeur à Rome et auteur d’une révolution littéraire dont profitent encore ceux qui le dénigrent aujourd’hui. Malgré les Mémoires d’outre-tombe, malgré le livre plus que discutable de Sainte-Beuve, l’histoire de ce grand esprit et de l’influence qu’il exerça sur son temps est encore à faire. Il y a là de quoi tenter un homme de bonne foi, instruit et généreux. Les filles aveugles qui vaguent à travers son ancienne demeure, ne se doutent guère qu’il a existé, et nulle d’entre elles sans doute n’a entendu parler du Génie du christianisme, que l’on ferait bien de leur lire. Celles qui tricotent dans l’ouvroir seraient singulièrement délassées et soulevées si, pendant les longues heures du travail, on leur lisait quelques-unes de ces œuvres sereines où l’âme trouve à la fois un point d’appui et l’éclosion d’idées nouvelles. Les livres nocturnes spécialement imprimés pour les aveugles sont rares, très rares. Lorsqu’en 1873, j’ai parcouru la bibliothèque de l’Institut des jeunes aveugles, j’ai été douloureusement affecté de sa pénurie ; j’y ai compté quelques livres d’enseignement, des cahiers de musique, mais je n’y ai rien vu qui pût donner pâture aux besoins de l’imagination. Il en est de même à la maison de Saint-Paul, qui pourtant possède une imprimerie et qui imprime elle-même les volumes qu’elle distribue à ses élèves.

L’imprimerie n’est point grande, mais elle est suffisante, très claire, comme si des voyans devaient y travailler et cependant les typographes sont quatre sœurs aveugles qui lèvent la lettre, manient le composteur et font mouvoir la presse avec l’aplomb d’un vieux « pressier. » Pas d’encre dans le système Braille, qui procède par pointes saillantes gaufrant un papier épais, par conséquent une extrême propreté. Il me semble que la maison de Saint-Paul pourrait facilement devenir l’atelier typographique des aveugles et fournir a ces malheureux les livres qu’ils recherchent et qu’ils ne trouvent pas. L’aveugle ne connaît guère que les ouvrages dont il écoute la lecture ; les autres, ceux que l’on a imprimés pour lui, sont en nombre tellement restreint et d’un choix si réservé, qu’il les a promptement épuisés ou qu’il les rejette, car ils ne lui apprennent plus rien, dès que son instruction est terminée. Il y a là