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non-seulement une source de gain dont les élèves de la communauté profiteraient, mais il y a un service moral à rendre aux aveugles qui est pour tenter le zèle des femmes dévouées à la cécité.

Déjà c’est à l’imprimerie Saint-Paul que l’on compose et que l’on tire le Louis Braille, journal en écriture nocturne, expressément fait pour les aveugles par un aveugle. M. Maurice de la Sizeranne, qui a perdu la vue aux premières années de son enfance, qui a traversé l’Institut du boulevard des Invalides, qui est jeune, intelligent, très ardent à la cause des aveugles, qu’il connaît mieux que nul autre, a compris qu’il fallait leur donner la nourriture intellectuelle à laquelle toute créature humaine a droit. Il a fondé le Louis Braille, qu’il dirige et rédige seul, ou peu s’en faut. C’est un recueil mensuel divisé en deux parties auxquelles on peut s’abonner isolément. La première est relative à la vie pratique des aveugles ; la seconde, se rapportant à leur vie intellectuelle, contient un supplément littéraire, scientifique et musical. Cela forme un gros cahier de vingt-quatre pages d’impression pointée qui représente environ une feuille (seize pages) de la Revue des Deux Mondes. C’est un bienfait pour les aveugles, qui peuvent ainsi entrer directement en communication avec le monde extérieur et participer à ses découvertes. M. Maurice de Sizeranne ne s’en est pas tenu là, et il a fondé un autre recueil qu’il a nommé le Valentin Haüy, en mémoire du grand homme de bien qui le premier s’est consacré à la cécité indigente. Ce journal est imprimé en caractères ordinaires, il s’adresse aux voyans, explique les besoins des aveugles, y intéresse, et cherche ce qui peut apporter un soulagement, une atténuation à leur infirmité.

L’exemple est donné ; espérons qu’il ne restera pas stérile et que peu à peu on va imprimer en caractères nocturnes une bibliothèque pour les aveugles, qui, à l’heure qu’il est, n’ont même pas encore de dictionnaire à leur usage. En ceci la maison de Saint-Paul peut prendre une initiative qui serait féconde ; il lui est facile d’imiter la société fonctionnant à Londres pour la diffusion du système Braille et où plus d’un typographe aveugle trouve à gagner sa vie[1]. Si à un atelier typographique elle joignait un atelier de copie pour la musique nocturne, nul doute qu’elle n’en retirât de sérieux avantages. Il y aurait un péril cependant et je me hâte de le signaler. L’idée religieuse ne devrait pas déterminer exclusivement le choix des volumes à imprimer. Dieu me garde de repousser les livres de piété ! mais il en faudrait d’autres, beaucoup d’autres, car

  1. British and foreign Blind Association for promoting the éducation and employaient of the blind.