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nent comme sur le continent, cela n’est point douteux. Elle est laborieuse pour la libre Angleterre elle-même, qui a, certes, au moment présent, une rude affaire à débrouiller et à dénouer en Égypte et dans le Soudan. Les débats engagés dès le début de la session du parlement sur cette inextricable et dangereuse affaire se sont prolongés d’une manière presque démesurée dans la chambre des communes, et, en définitive, le gouvernement est sorti victorieux de cette première épreuve. La motion de censure, proposée par le chef de l’opposition sir Stafford Northcote, a été repoussée ; la majorité libérale est restée fidèle à M. Gladstone.

Ce n’est pas cependant une victoire bien brillante ni absolument décisive. La majorité a été moins considérable qu’on ne le pensait, et, si le ministère a eu le succès du scrutin, on ne peut pas dire que la discussion lui ait été aussi complètement favorable. Toute la puissance de parole de M. Gladstone n’a pu réussir à pallier les cruelles réalités d’une situation que les fautes ont incessamment aggravée. La politique ministérielle a trouvé des adversaires ou des censeurs non-seulement parmi les tories, mais parmi les libéraux eux-mêmes. Des hommes comme M. Forster, l’ancien ministre pour l’Irlande, comme M. Goschen, l’ancien ambassadeur de la reine à Constantinople, comme M. Cartwright, n’ont pas hésité à critiquer vivement cette politique, à la représenter telle qu’elle a été, « inconséquente et vacillante » depuis le commencement de l’intervention en Égypte. La discussion tout entière a montré le gouvernement anglais s’engageant sans savoir où il allait, hésitant toujours à prendre des mesures sérieuses, laissant grossir les dangers par imprévoyance, jusqu’au moment où il n’y a plus eu moyen de se méprendre et où, au lieu de quitter l’Égypte, comme on le disait, il a fallu songer à y envoyer tardivement des forces nouvelles. Voilà ce qu’il y a de clair, de l’aveu même de bien des amis du gouvernement. Le ministère n’a pas moins triomphé malgré tout, et s’il a eu pour lui le scrutin, il l’a dû à un certain nombre de raisons qui n’ont rien à voir avec l’approbation de la conduite qu’il a suivie. La première raison, c’est que, si les adversaires du cabinet, les tories, ont pu critiquer vivement, amèrement tout ce qui a été Tait en Égypte depuis quelques mois, ils se sont montrés un peu plus embarrassés pour dire ce qu’ils auraient fait, ce qu’ils feraient encore. Ils ne feraient pas après tout beaucoup plus que ce que le gouvernement se dispose à faire aujourd’hui. D’un autre côté, les libéraux indépendans comme M. Forster et M. Goschen, qui n’ont pas caché leur opinion sur les affaires d’Égypte, avaient nettement fixé d’avance la limite et la portée de leur opposition. Ils voulaient bien combattre la politique qui a été suivie, ils n’entendaient pas refuser leur vote au ministère, au risque de « donner carte blanche à lord Salisbury. » Ils sont restés