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séquences de ces complications du Soudan, des victoires du mahdi, des progrès de l’insurrection. Ces événemens ont démoralisé les soldats égyptiens, sur lesquels on avait compté jusqu’ici et qui sont maintenant en pleine révolte, qui refusent de marcher avec les Anglais ; ils ont retenti jusque dans la Basse-Égypte, jusqu’au Caire, où, depuis quelques jours, s’est produite une singulière fermentation, de sorte que l’Angleterre se trouve dans les conditions les plus graves, exposée de toutes parts aux plus pressans dangers.

Si le ministère a gardé malgré tout la confiance du parlement dans les derniers débats, c’est que la situation n’apparaissait peut-être pas encore avec ce caractère de gravité qui ne s’est révélé que depuis quelques jours. Désormais les faits sont crians, et, si le cabinet ne se hâtait d’agir, de prendre les mesures les plus vigoureuses pour rétablir les affaires de l’Angleterre en Égypte, il ne serait plus sauvé sans doute par la discipline des libéraux ; en dépit de la popularité de son chef, M. Gladstone, il irait au-devant d’un inévitable et irréparable échec dans la chambre des communes elle-même, qui ne lui pardonnerait pas d’avoir compromis l’orgueil et les intérêts britanniques. Il paraît bien le comprendre. Il a, dit on, envoyé au commandant du petit corps expéditionnaire de Souakim, au général Graham, l’ordre de marcher sur l’ennemi, de réparer les désastres d’Hicks-Pacha, de Baker-Pacha et de la capitulation de Tokar. D’un autre côté, il demande des crédits pour expédier tous les renforts nécessaires. C’est le commencement ; mais cela ne dit pas encore ce que le gouvernement de la reine se propose de faire, et lord Granville refusait hier de répondre à ce sujet. A l’heure qu’il est les fictions ne serviraient plus à rien. Il n’y a plus guère à s’occuper du khédive, qui n’est qu’un pouvoir nominal ; il n’y a plus à compter sur les soldats égyptiens, même comme auxiliaires. C’est l’Angleterre seule qui est en jeu, qui est obligée de faire face à toutes les difficultés, à tous les dangers par ses propres forces. Abandonner le Soudan n’est plus une opération aussi simple qu’on le croirait, maintenant qu’on a laissé grandir l’autorité mystérieuse de ce mahdi qui trouve peut-être des alliés dans tout le monde musulman ; l’Angleterre ne peut l’accomplir qu’en faisant sentir d’abord le poids de sa puissance, en créant des positions de défense propres à garantir la sécurité de la vallée du Nil. Après cela, il lui restera encore à réorganiser l’Égypte, à refaire toute une situation. Elle ne peut qu’à ce prix retrouver son ascendant. C’est un intérêt anglais sans doute, c’est aussi désormais, il faut l’avouer, un intérêt européen, un intérêt de civilisation.

CH. DE MAZADE.