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rien ne justifie plus. Non loin de là, les Irlandais se grisent dans leurs misérables gîtes ; plus bas, les nobles résidences d’autrefois se sont transformées en pensions bourgeoises de troisième ordre, où trônent de grosses Allemandes dont les maris vendent, dans la Bowery, du tabac ou de la bière. Sur une certaine longueur, néanmoins, la Seconde Avenue est restée mélancoliquement aristocratique. Les Grosvenor, entre autres grandes familles, n’ont jamais voulu quitter le vénérable hôtel enfumé qu’ils habitent, de génération en génération, depuis les temps coloniaux : le mobilier, d’une sécheresse, d’une raideur puritaine, avec les portraits de famille qui donnent la plus fâcheuse idée de l’art primitif américain, tout reste à sa place. La maîtresse du logis est elle-même une antiquité. Rien, chez elle, ne frappera comme insolite les regards d’un Européen, sauf la profusion de bouquets dont ses deux petites-filles, qui l’aident à recevoir, sont littéralement surchargées. Ces fleurs ont été envoyées à l’aînée comme à l’une des belles de la dernière saison, et à la cadette pour fêter ses débuts dans le monde.

Les ketlledrums auxquels nous assistons avec Wainwright ont un caractère plus original ; ce sont des matinées où l’on prend le thé, où l’on cause, où les dames vont en chapeau et en costume de ville, où domine d’ailleurs l’élément féminin, réunions bruyantes et nombreuses. Wainwright y admire autant que jamais la gaîté spontanée, l’animation contagieuse des Américaines. « Il leur manque assurément, nous dit-il, la pudique réserve qui donne aux Européennes, avant le mariage, un charme délicat comparable à celui de la rosée du matin sur quelque fleur printanière, mais on a reconnu bien vite que les apparentes audaces de ces jeunes filles, si parfaitement maîtresses d’elles-mêmes, sont la conséquence d’un système d’éducation dans lequel la liberté d’allures et la pureté d’intention tiennent une place égale. »

Kettledrums effrénés chez Mrs Spring, lectures chez Mrs Bateson Bangs, qui a produit des livres, des brochures, des poésies, qui fait des conférences et qui, depuis trente ans, n’a jamais écrit le mot femme autrement qu’avec une majuscule. Les bas-bleus ne sont pas tournés en ridicule à New-York; ils forment pour cela un bataillon trop considérable, et ceux d’entre eux qui possèdent du talent ont droit tout naturellement à l’estime et à l’admiration, ni plus ni moins que les écrivains de l’autre sexe. Mais la verve de M. Fawcett s’évertue contre certaines journalistes femelles parvenues à la gloire par une culture assez plate du genre « réformateur et instructif. » Il a réservé en somme ses épigrammes les plus acérées pour le petit salon encombré de Mrs Bangs, où les femmes sont mal mises et les hommes prétentieux. Chacune des