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La thèse a cependant plus d’un inconvénient. L’homme idéal, dit-on, représente en toute chose la moyenne de l’humanité. Cela paraît très simple et très clair, mais ces détails, définis par règle et par compas, comment s’ajustent-ils? La hauteur de la tête, par exemple, pourra, pour l’homme moyen, se calculer par deux méthodes; on peut prendre la moyenne des longueurs, ou pour chaque individu, le rapport de la tête à la hauteur du corps, puis la moyenne de ces rapports. Les résultats sont différens : comment les accorder ?

Grave difficulté et inévitable écueil ! Pour le montrer avec évidence, cherchons entre deux sphères la sphère moyenne : l’une a pour rayon 1 ; nous choisirons les unités de manière à représenter également la surface et le volume par 1. La seconde sphère a, je suppose, pour rayon 3, pour surface 9 et pour volume 27; ces chiffres sont forcés. Les moyennes 2, 5 et 14 sont incompatibles; une sphère de rayon 2 aurait pour surface à et pour volume 8 très exactement; aucune concession n’est possible, nulle sphère n’est difforme. Un homme malheureusement peut l’être, et II. Quetelet en profite; en associant le poids moyen de 20,000 conscrits à leur hauteur moyenne, on fera l’homme type ridiculement gros et, quoi qu’en ait pensé Reynolds, un mauvais modèle pour un peintre. Cet artiste éminent, dans ses leçons publiques sur les beaux-arts, avait, avant Quetelet, signalé dans l’homme moyen le type de la beauté parfaite. Si tel était le cas, a dit sir John Herschel, la laideur serait l’exception. Je n’en aperçois pas la raison. Aucun trait de la beauté parfaite ne serait rare; distribués sans convenance, ils seraient sans mérite. Ce sont les proportions qui importent, l’harmonie fait la grâce. Le hasard appellerait sans doute peu d’élus, et, n’en déplaise à sir John Herschel, dans les assemblages incohérens, si la laideur, comme il le dit, formait l’exception, le grotesque deviendrait la règle.

Dans le corps de l’homme moyen, l’auteur belge place une âme moyenne. Il faut, pour résumer les qualités morales, fondre vingt mille caractères en un seul. L’homme type sera donc sans passions et sans vices, ni fou ni sage, ni ignorant ni savant, souvent assoupi : c’est la moyenne entre la veille et le sommeil, ne répondant ni oui ni non ; médiocre en tout. Après avoir mangé pendant trente-huit ans la ration moyenne d’un soldat bien portant, il mourrait, non de vieillesse, mais d’une maladie moyenne que la statistique révélerait pour lui.