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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 62.djvu/838

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des capitaux dont e remboursement leur avait été imposé ; c’étaient les propriétaires, les négocians qui avaient vendu aux réaliseurs des terres qui étaient le fruit de leur travail ; c’était la masse du public. Par le mouvement journalier des affaires, de la vie commerciale, de la vie industrielle et même de la vie civile, les billets, qui depuis longtemps déjà ne pouvaient être refusés dans les paiemens, étaient peu à peu entrés dans toutes les bourses : ils étaient possédés par la foule, la grande foule, impressionnable et confiante à l’excès comme les enfans, mais plus défiante encore quand sa première confiance a été déçue. La banque et la compagnie des Indes n’avaient plus et ne pouvaient plus avoir de crédit.

L’arrêt du 21 mars avait été délibéré dans une réunion peu nombreuse, où ne se trouvaient que le régent, le garde des sceaux, le contrôleur-général, l’abbé Dubois, déjà secrétaire d’état des affaires étrangères, et Le Blanc, chargé de la guerre : les autres membres du conseil étaient absens. On a beaucoup discuté pour savoir à qui appartient la pensée première de ce malheureux arrêt, et on l’a souvent attribuée à une intrigue de d’Argenson et de Dubois pour perdre Law, et aussi aux manœuvres de l’étranger. Dutot, bien placé pour le savoir, affirme que le projet avait été préparé, dès le mois de mars, par le contrôleur-général; quoiqu’il en soit à cet égard, il est certain qu’il fut adopté par Law, car on sait que ce fut lui qui en présenta le rapport au conseil. On ne peut donc s’étonner que le régent ait voulu lui en faire porter la responsabilité. Le 29 mai, pendant que deux intendans des finances, — Fagon et La Houssaye, — se rendaient à la banque avec le prévôt des marchands, pour examiner les registres et vérifier la caisse, le secrétaire d’état Le Blanc fut envoyé prévenir Law que le duc d’Orléans le déchargeait des fonctions de contrôleur-général : en même temps, comme il avait été insulté et menacé, le major du régiment des gardes suisses, Benzwald, venait s’installer dans sa maison avec seize soldats pour veiller nuit et jour à sa sûreté, et peut-être aussi pour s’assurer au besoin de sa personne.

Le ministère de Law[avait duré cinq mois, et ce temps avait suffi pour précipiter la banque et la compagnie des Indes des sommets les plus élevés d’une apparente prospérité vers la chute et la ruine. La compagnie avait racheté à 9,600 livres et à 9,000 livres un nombre énorme d’actions, et elle les avait payées en billets que la banque lui fournissait ; pour assurer à ce papier la préférence sur l’or et l’argent le cours des monnaies avait été sans cesse tourmenté; l’obligation de n’employer que des billets dans les paiemens de sommes excédant 100 livres avait été étendue et mise à exécution plus tôt qu’elle ne devait l’être; il avait été défendu à tous les Français d’avoir plus de 500 livres en espèces ; des mesures avaient