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elle-même soit capable d’agir raisonnablement. Son oncle dit que c’est une religion d’homme, et elle s’en rapporte à son oncle. Le langage flatteur de cet Oriental la gêne un peu ; comme toutes les Anglaises, elle a si peu l’habitude des fadeurs galantes de la part de ses compatriotes qu’elle est toujours prête à prendre un compliment un peu vif pour la pire des insultes ; cependant, à la longue elle se fait aux jolies phrases d’Isaacs parce qu’elle a découvert qu’en somme il est toujours sérieux et croit dire la vérité. De son côté, pour lui plaire, il se laisse expliquer les finesses du tennis et prend goût à ces prouesses au grand air qui sont ce que préfère cette belle créature saine et bien portante, chez qui déborde la joie de vivre, — les animal spirits. À cheval ou sur un terrain de crocket, elle est heureuse.

Sa préférence pour Isaacs se trahit dans la plus tragique des parties de polo. Pour briller au polo, il suffit d’être bon cavalier : Isaacs battrait ses adversaires anglais, malgré leur vigueur et leur adresse, si, au moment même il n’était atteint d’un coup de maillet que, par inadvertance, dans la joyeuse furie du moment, lui porte l’un des joueurs. La blessure est très grave, tout près d’être mortelle. C’est d’une compresse que le couronne miss Westonhaugh, qui a promis de remettre le prix au vainqueur, mais la pâleur de la jeune fille, son émotion, le tendre dévoûment dont témoignent ses premiers soins, donnent à Isaacs, lorsqu’il revient à lui, l’espoir d’être aimé. Dès lors, et la jalousie que lui inspire Kildare aidant à l’enflammer, il s’abandonnera naïvement à la passion qui depuis longtemps couve en lui, — sa première passion, notons-le bien, — car cet être fort et puissant qui a usé de tout, ne soupçonnait pas jusque-là ce que peut être l’amour. Isaacs ne redoute aucun obstacle au mariage qu’il a dès lors arrêté dans son esprit. Miss Westonhaugh n’est pas riche, et son oncle sera bien aise sans doute de lui voir épouser un homme haut placé, pourvu d’une immense fortune et qui jouit de la considération générale. Nul Européen ne prend au sérieux les mariages musulmans ; quant à Isaacs, il est autorisé par le Prophète à choisir une quatrième femme ; il profitera de ce droit en renvoyant les trois autres.

Il épousera miss Westonhaugh à son église et selon la loi anglaise ; il se trouvera lié à elle, et à elle seule comme le serait un Anglais. Si M. Ghyrkins par hasard fait quelque objection, il est prêt, argument décisif et péremptoire, à fonder, avec l’aide de Griggs, un journal qui soutienne à Delhi les intérêts des conservateurs et les idées de lord Beaconsfield. Que lui importe ?.. Isaacs a en politique des sentimens particuliers qui lui font refuser d’être émir de l’Afghanistan, sur la proposition du maharajah de Baithopoor, parce qu’il