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accourt et souvent il arrive trop tard., Les gens qui ont inventé cela ne croient pas à l’âme ; mais ceux qui meurent sur le grabat, après une vie de misères, y croient, ont besoin d’y croire, et c’est être inhumain que de les priver d’une suprême consolation. N’est-ce donc rien de mourir persuadé que l’on entre dans la lumière et dans la félicité ? O libres penseurs, si vous arrachez l’espérance du cœur de l’homme, que lui restera-t-il ? On est moins cruel pour les condamnés à mort, le prêtre les conduit jusqu’au pied de l’échafaud et leur donne le baiser de paix. Donc on substitue les services du devoir professionnel au dévoûment de la charité religieuse. Au nom du salut des malades, et de la gratuité des soins hospitaliers, la science médicale a protesté ; sa voix s’est perdue au milieu du bruit des applaudissemens que s’accordaient l’athéisme et l’intolérance. Le résultat de ces modifications ne paraît pas, jusqu’à présent, avoir été heureux. Les nouvelles infirmières se trompent parfois de fioles ; elles déposent sur un poêle brûlant un nouveau-né qui les embarrasse ; elles ne distinguent pas toujours une poudre blanche d’une autre poudre blanche : le malade cesse alors de souffrir plus tôt qu’il n’aurait voulu ; l’enfant n’aura pas à supporter les luttes de la vie, et les quelques semaines de prison infligées par les tribunaux ne rendent l’existence à personne[1].

De semblables accidens ne se produisent pas dans les maisons charitables où j’ai conduit le lecteur, car il y a là des yeux attentifs à bien regarder et des cœurs qui s’attendrissent à la souffrance. Lorsqu’un bon petit vieux à demi paralysé désire être retourné dans son lit, il n’a pas besoin de donner un pourboire à la petite sœur des Pauvres ; la sœur pharmacienne de Villepinte ne confond pas le phosphate de chaux avec le chlorate de potasse, et les frères de Saint-Jean-de-Dieu n’assoient pas leurs avortons informes sur le couvercle rougi d’un poêle en fonte. Là, le malade, le vieillard, l’incurable est une sorte de propriété collective, autour de laquelle chacun s’empresse ; il est vrai que l’on prie pour lui, mais je crois qu’il ne s’en trouve pas plus mal. Qui sait si cette expulsion des sœurs et des aumôniers ne sera pas le point de départ d’un nouveau bienfait de la charité privée dont les malheureux recevront quelque soulagement ? J’imagine que la foi protestera moins platoniquement que la science. On a créé des écoles libres où les enfans reçoivent un enseignement qui ne détruit pas l’espérance et leur apprend qu’il y a pour les esprits respectables d’autres opérations que les opérations de la matière ; de même on pourra fonder des hôpitaux libres où l’on soignera les âmes inquiètes en même temps que les corps malades. Plus on a souffert au cours de sa vie, plus, à l’heure de

  1. Voir la Gazette des tribunaux, 11 août 1883, 21 mars 1884.