la mort, on a besoin d’être fortifié et de recevoir l’assurance d’unes compensation prochaine. Ne pas le savoir, c’est n’avoir rien compris à la nature de l’homme.
Il y a bien longtemps, sur la frontière du Maroc, aux environs d’Ouchda, j’ai vu mourir un soldat sur le champ de bataille. J’avais suivi une expédition. On était en escarmouche avec une fraction de trinu qui était, je crois, celle des Beni-Snassem. Un zouave était tombé frappé d’une balle qui lui avait traversé la poitrine. Il s’était traîné jusqu’à une touffe de chênes nains, contre laquelle il cherchait à s’adosser. Je l’avais aperçu, j’étais descendu de cheval et j’essayais un pansement inutile. Le pauvre homme secouait la tête et disait : « J’ai mon affaire. » L’aumônier, un père jésuite à longue barbe noire, nous vit et accourut. Je voulus m’éloigner, le soldat dit : « Ce n’est pas la peine, soutenez-moi. » Je me plaçai derrière lui, je m’agenouillai, et, le prenant dans mes bras, je l’accotai contre ma poitrine. J’ai entendu sa confession, elle ne fut pas longue. Le prêtre tutoyait le moribond et lui parlait en langage de caserne : « Tu t’es soûlé ? — Oui. — Tu as fait les cent dix-neuf coups ? — Oui. — Tu as chapardé ? — Oui. — As-u volé ? — Non. — Tu as aimé le régiment ? — Oui. — Tu as été fidèle au drapeau ? — Oui. — Tu t’es bien battu ? — Oui. — Tu meurs de bon cœur pour la France ? — Oui. — Sois en repos, mon vieux, le ciel est fait pour les braves comme toi. Dieu t’attend ! » Il l’embrassa ; je sanglotais. Les traits du soldat étaient illuminés ; ses yeux, pleins d’extase, regardaient le ciel et le regardèrent jusqu’à la seconde où ils se fermèrent pour toujours. Voilà bientôt quarante ans de cela, j’ai encore dans l’oreille le son de voix affaiblie du blessé et je revois l’expression de béatitude qui éclairait son visage. C’est être impitoyable que d’empêcher de mourir ainsi.
« Je ne vois pas, écrivait Horace Walpole à George Montagu, pourquoi il n’y aurait pas autant de bigoterie à tenter des conversions pour que contre une religion. » Soit ; mais quel nom donner aux efforts qui visent à détruire la religion elle-même dans ses formes extérieures ? Que l’on empêche l’église d’empiéter sur l’état et de s’y glisser, cela est bien ; mais que l’on essaie d’empêcher l’église de coexister à l’état, cela est criminel. La religion ne doit point diriger la politique, mais la politique ne doit pas opprimer la religion ; que César conserve ce qui lui appartient et que Dieu garde ce qui est à lui. S’y opposer, c’est n’être pas juste. Je dirai plus, il n’est pas prudent, il est malhabile de grouper contre soi ceux qui ne luttent que par la prière et les larmes. La plainte est une arme plus forte que l’épée ; celle-ci transperce les cœurs, celle-là les émeut. Pierre l’Ermite pleura en parlant du tombeau de son Dieu et il entraîna les foules vers Jérusalem. Il faut laisser.