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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/320

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Le peuple romain n’apparaît avec les principaux organes de sa vie sociale qu’après l’expulsion des rois et l’établissement de la république. La révolution avait été faite par les grands et pour eux ; aussi, dans les institutions nouvelles, tout fut calculé pour empêcher le retour d’un maître. Au roi viager ils substituèrent deux consuls annuels, qui durent être toujours de race patricienne.

Investis de pouvoirs égaux, les consuls se faisaient l’un à l’autre équilibre, car chacun d’eux avait la faculté d’arrêter les actes de son collègue par la seule déclaration qu’il s’y opposait. Ce droit d’intercessio et la courte durée de la magistrature rendaient une usurpation si difficile que, durant plus de quatre siècles, on n’en vit point. Comme réserve suprême contre un danger qui menacerait l’état ou la constitution, le sénat rétablit une royauté temporaire et absolue, la dictature ; mais il en fixa la durée légale à six mois et, en fait, jusqu’à Sylla, elle ne dura le plus souvent que peu de jours. Le dictateur excepté, Rome n’eut point de magistrats uniques. Toutes les charges avaient plusieurs titulaires, et la censure, le consulat, la préture, l’édilité, le tribunat, les sacerdoces formèrent autant de collèges, afin que le principe de l’intercessio pût toujours être appliqué. Ce principe entra si profondément dans les mœurs politiques des Romains qu’ils le portèrent dans leurs colonies, où le droit de veto fut exercé par le magistrat d’ordre égal ou supérieur, par majorve potestas. La provocation ou le droit d’appel à l’assemblée nationale, fut pour les citoyens une autre et puissante garantie.

En possession du consulat et de la dictature, chefs de la religion, de la justice et de l’armée, ayant, par le sénat et l’assemblée centuriate, la direction de la politique et de la législation, les grands se trouvèrent, après l’expulsion de Tarquin, les vrais maîtres de Rome. Ce gouvernement de la cité par le patriciat fut la première forme de la république romaine[1] ; la seconde apparaîtra quand les plébéiens seront admis aux charges publiques ; la troisième après les grandes conquêtes qui favoriseront le rétablissement d’une oligarchie.

Au début de la république, les patriciens pouvaient se croire établis dans une forteresse inexpugnable. La guerre y fit brèche. La grande domination élevée par Tarquin s’était écroulée après son exil. Les sujets, les alliés de la Rome royale devinrent les ennemis de la Rome républicaine. Afin de résister à Tarquin, à Porsenna, aux Latins coalisés, l’aristocratie eut besoin des plébéiens ; ils ne

  1. Quelques plébéiens furent admis au sénat en 509 probablement avec le droit des gentes, comme le fut, vers la même époque, le Sabin Atta Clausus ; d’autres y entrèrent après avoir géré le tribunat consulaire ; mais, jusqu’en 387, le sénat garda son caractère d’assemblée patricienne.