refusèrent pas leur sang pour la défense du patriciat, mais ils l’obligèrent à payer leur concours en lui arrachant le droit de se donner des chefs, les tribuns du peuple. De toutes les révolutions de Rome, celle-ci fut la plus modeste à ses débuts, la plus grande par ses effets.
Servius avait divisé le territoire romain en trente districts ou tribus. Les habitans de ces trente régions, rapprochés par de communs intérêts, eurent des réunions que les nouveaux chefs du peuple organisèrent, et l’assemblée des tribus se trouva un jour assez forte pour obtenir que le sénat lui reconnût un pouvoir législatif : le droit de voter des plébiscites. Les décisions étant prises par tête dans ces comices, le nombre y fit la loi, tandis que la richesse la faisait dans les centuries. L’histoire intérieure de Rome est le récit de la lutte des deux assemblées, qui finiront par se fondre en une seule. Des deux côtés, cette guerre sans violences extrêmes fut admirablement conduite : de la part des tribuns, des efforts persévérans et des demandes légitimes ; de la part de leurs adversaires une résistance habile qui cède à propos, de manière à empêcher qu’une révolution subite emportât tout. Le sénat abandonne peu à peu l’un ou l’autre de ses privilèges ; même il entr’ouvre insensiblement les portes de la cité patricienne pour y laisser entrer quelques-uns des chefs populaires, et, au lieu d’affaiblir par ces concessions le corps aristocratique, il le fortifie. Un sang plus jeune y circule ; des idées plus vraiment politiques y naissent et les classes se rapprochent, sans que le peuple perde son respect héréditaire pour ces nobles qu’il honore, tout en leur résistant, parce qu’il voit en eux les pontifes particulièrement aimés des dieux, les chefs qui combattent toujours sous d’heureux auspices, les gardiens des anciennes et bonnes coutumes, mos majorum, cette seconde religion des Romains. Comme une armée disciplinée, redoutable encore dans sa défaite, les grands reculaient à chaque pas fait par les plébéiens et ils prenaient en arrière une forte position ou, longtemps encore, ils arrêtaient les assaillans. Progrès et conservation furent les deux pôles entre lesquels oscilla cette histoire. Tour à tour sollicitées et contenues par les deux factions populaires et aristocratiques, les dissensions intestines ne réduisirent jamais la patrie à devenir une proie facile pour l’étranger, et elles firent l’éducation politique du peuple, qui, heureusement pour lui, ne fut pas soudainement précipité dans la victoire.
Les diverses étapes de cette longue campagne, où se forma la robuste jeunesse du peuple romain, sont marquées par la promulgation d’une législation écrite et l’autorisation des mariages entre les deux ordres, ou l’égalité civile ; par la création du tribunal, l’organisation politique des tribus et l’avènement des plébéiens à toutes