préoccupés de ne rien avancer qu’ils ne prouvent et pas assez soucieux d’égayer d’anecdotes piquantes l’aridité d’une grave matière. M. Forneron, lui, fait ce que l’on appelle de l’histoire amusante, — à la façon des frères de Goncourt, et sur le modèle de Renée Mauperin, — de l’histoire amusante, médisante, et surtout galante. Si l’on retranchait de son livre tout ce qu’il a trouvé le moyen d’y mêler « d’histoires de femmes, » un bon tiers de l’œuvre y fondrait, et ce serait dommage, car de tous les côtés du sujet qu’il traitait, c’est le seul qu’il ait un peu scrupuleusement étudié. Il en devient même touchant, quand, par exemple, il dépouille la Correspondance originale des émigrés, — un de ces nombreux recueils dont il n’oublie que de faire la critique, — et qu’il y signale avec émotion les tendres appels des fiancées : « Je t’adore, je ne suis pas la maîtresse de t’aimer moins. Tu es ma vie, mon bonheur, mon malheur. C’est toi qui m’animes ; tu es seul toute mon existence. » Pour ceux qui n’aimeraient pas cette note sentimentale il en a d’ailleurs une plus vive : « Je veux te faire oublier dans mes bras tes souffrances. Pense que tu dois trouver une femme bien tendre et qui serait fâchée d’être trompée dans son attente. Tu dois revenir fort et bien portant. » De semblables trouvailles ne sont-elles pas un encouragement ? Si donc l’histoire des traités, entre autres, n’est pas très familière à M. Forneron, il sait parfaitement, en revanche, pour l’avoir découvert dans les manuscrits des affaires étrangères, avec qui couchait en 1791 l’évêque de Pamiers ; et si parfois il se trompe sur les dates, en revanche, pour l’avoir appris dans les Mémoires de La Révellière, il vous dira que l’ambassadrice du directoire à Naples scandalisait à montrer sa jambe. Précieuse acquisition pour l’histoire ; car eussiez-vous cru que Caroline, en vérité, fût si prude et Acton si pudique ? En un autre endroit, il ne peut se tenir d’interrompre tout à coup son récit pour nous conter l’Épisode du comte Henri W…, un colonel gascon, que la « tendre » Sophie dispute à la « sèche » Hippolyte, jusqu’à ce qu’il finisse par épouser sa cuisinière. Ailleurs, c’est le fameux comte d’Antraigues, dont il faut qu’il nous dise les liaisons et le mariage avec la non moins fameuse demoiselle de Saint-Huberti. « Antoinette Clavel, dite la Saint-Huberti, était une Alsacienne, petite, trapue, aux cheveux fades, au nez retroussé, à la bouche large. Sa face vulgaire se transfigurait dans la passion. » — Eh ! mon ami, disait Voltaire à ceux qui lui faisaient de semblables confidences, l’as-tu vue en cet état ? Non qu’il fût assurément l’ennemi de l’anecdote, mais enfin il estimait qu’elle diminue quelque chose de la gravité, de la dignité, de l’autorité de l’histoire. Tel n’est pas l’avis de M. Forneron. Assez d’autres travailleront, s’ils le veulent et qu’ils le puissent, à débrouiller l’écheveau compliqué de la politique européenne dans le temps de la révolution, son affaire, c’est d’extraire des correspondances diplomatiques
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