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du jour. C’était évoquer à leurs yeux le souvenir sanglant des violences populaires qui avaient autrefois porté Guillaume au pouvoir et comme le fantôme du cadavre mutilé des deux de Witt. Enfin le comble était mis à ce mélange habile de caresses et de menaces par l’annonce de son prochain départ que fit, en terminant, l’ambassadeur. Il devait, dit-il négligemment, déposer momentanément sa qualité diplomatique pour aller reprendre son poste de général dans l’armée qui entrait en ce moment même dans les Pays-Bas. C’était mettre la main lui-même sur la garde de son épée[1].

Les magistrats hollandais écoutèrent ce fier langage la tête basse et l’air consterné : pas un mot ne fut répondu; seulement, comme l’ambassadeur se retirait, le secrétaire de l’assemblée s’approcha de lui pour lui demander une copie de son discours revêtue de sa signature: « Est-ce l’usage? dit Fénelon. — Oui, lui dit le secrétaire. — Eh bien! monsieur, comme c’est un monument de la dignité, de la bonne foi et de la probité du roi mon maître, je le signerai, s’il le faut, de mon sang. » Il n’y eut pas plus de réponse écrite que verbale : on se décida seulement à envoyer au-devant du roi un messager, presque un suppliant, et on fit choix, cette fois, pour cette mission, d’un homme de qualité. Le comte de Wassenaer, gentilhomme de bonne maison, qui avait habité Paris et gardé des relations à la cour, fut chargé d’aller trouver Louis XV partout où il le rencontrerait pour le conjurer d’arrêter ou du moins de suspendre sa marche[2],

Parti sans délai, ce fut le 15 mai, au camp de Cysoing sous Lille, que Wassenaer rencontra le cortège royal. Le roi venait d’y arriver depuis plusieurs jours, après avoir visité, en compagnie du maréchal de Noailles, les places de Condé, de Douai, et de Maubeuge. Il était plein d’entrain, d’ardeur, accueilli partout par les soldats comme par les populations avec une satisfaction enthousiaste. A Lille surtout, la réception, préparée avec art par le maréchal de Saxe, fut un véritable délire. Ces mots : « Voilà le roi ! Enfin, nous avons donc un roi! » sortaient de toutes les bouches. Louis, ravi lui-même et comme transfiguré, se prêtait avec complaisance aux regards avides de le voir, aux acclamations dont le bruit inaccoutumé flattait ses oreilles. Accompagné et conduit par Maurice, il visitait le camp, les casernes et les hôpitaux, goûtait le bouillon des malades et le pain du soldat, puis rentrait pour étudier jusqu’à une heure avancée de la nuit le plan des places fortes qu’on se proposait

  1. Discours du marquis de Fénelon aux états-généraux. — Mémoires de Luynes, t. VI, p. 228.
  2. Fénelon au roi, 21 avril. — La Ville à Amelot, 7, 19 mai 1743. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.) — Droysen, t. III. p. 262.