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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/50

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année de repos, mais dont l’ambition, plus ardente que jamais, était pressée de savoir si, comme il le disait familièrement, la « faveur ne pouvait pas repousser comme la barbe. » Par l’intermédiaire du comte de Rottenbourg, qu’il avait connu en Allemagne, il avait trouvé moyen de se faire enfin admettre chez Mme de Châteauroux ; il était consulté secrètement par Tencin sur les articles du traité à soumettre au roi de Prusse. En attendant, il avait repris son ancien commandement de Metz, dont il était toujours titulaire, comme un poste avancé, d’où il pouvait, à un jour donné, s’élancer de nouveau sur l’Allemagne[1].

Dans l’ensemble, c’était un grand et puissant effort qui, partant d’une nation qu’on croyait affaiblie et découragée, faisait honneur et au roi qui l’inspirait et aux sujets qui s’y prêtaient sans défaillance. Trois cent mille hommes, dont plus de soixante de milice, étaient sous les armes : c’était un effectif inaccoutumé dans les habitudes du temps et dont la levée, comme l’entretien, chargeaient d’un poids très lourd les populations. Pour y faire face, il avait fallu élever l’octroi des villes au taux des dernières et plus mauvaises années de Louis XIV, créer plus de 3 millions de rente, demander des dons gratuits à tous les pays d’état, et même avec ces ressources, la dépense annuelle allait dépasser la recette de plus de 100 millions. Quelques années plus tôt ou plus tard, de telles exigences eussent suscité une rumeur et un gémissement universels. Le parlement en corps eût porté à Versailles ses remontrances. Mais, ce jour-là, on était si heureux d’avoir enfin retrouvé un roi que pas un murmure ne s’éleva.

Le succès d’ailleurs, au moins pour la première heure, pouvait paraître assuré. Si Louis XV se proposait de suivre sur le champ de bataille les exemples de Frédéric, Noailles, qui le guidait, lui mettait sous les yeux un autre original qu’il prétendait lui faire copier : c’était le souvenir de Louis XIV, et, parmi les exploits personnels (d’ailleurs peu nombreux) du grand roi, le modèle qu’il avait choisi à lui proposer, c’était la brillante campagne de 1673, dans laquelle le souverain, encore dans tout l’éclat de la jeunesse et ayant Vauban à ses côtés, avait dirigé lui-même le siège de l’importante citadelle de Maestricht. Une guerre de sièges avait l’avantage de donner à Louis XV (comme autrefois à son aïeul) l’occasion

  1. La Correspondance de Prusse (Ministère des affaires étrangères), contient plusieurs lettres de Rottenbourg à Belle-Isle que j’aurai occasion de mentionner plus loin, et qui attestent leur intimité. Voir aussi dans la collection que j’ai déjà citée (Paris, 1790), une lettre du cardinal de Tencin à Belle-Isle, du 24 avril, qui fait voir qu’il consultait ce maréchal sur les clauses du projet de traité, mais qu’il ne voulait pas que ce concert fût connu du roi.