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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 63.djvu/864

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la beauté de leurs lignes, la stabilité qui les caractérise, offrent, avec l’aspect même de la contrée, un accord si complet qu’il frappe tous ceux qui la parcourent. Dans ces vastes plaines où on les voit apparaître de loin et dont ils rompent la monotonie, les temples, les pyramides, les sphinx gigantesques, les colosses, qui, depuis tant de siècles, reçoivent chaque jour les premières comme les dernières caresses de la lumière, tous ces monumens sont en si parfaite harmonie avec le paysage qu’on ne saurait, même par la pensée, les détacher de leur cadre, il n’y a point là seulement, en effet, une de ces affinités poétiques auxquelles se complaît l’esprit humain et qu’il imagine après coup pour se satisfaire lui-même. L’architecte égyptien ne s’est pas borné à emprunter à la nature de son pays ses robustes ordonnances, les longues assises de ses lignes horizontales ; il a pu lui faire des emprunts plus immédiats dans la structure même de la décoration de ses édifices. C’est le tronc rigide du palmier que vous retrouvez dans leurs colonnes ; ces appuis plus légers, c’est la lige élancée des grands roseaux qui en a fourni le modèle ; la fleur du lotus s’épanouit à la base ou aux chapiteaux des piliers ; ses bourgeons et ses feuilles s’unissent dans l’ornementation des frises aux touffes des papyrus ou aux branches gracieuses du palmier. Au-dessus des pylônes, le soleil, père de toute vie, rayonne en traits de feu, et dans l’azur qui troue les plafonds, comme dans un ciel véritable, des vautours aux ailes déployées volent parmi les étoiles étincelantes.

Ces élémens pittoresques, introduits dans un art qui d’ordinaire semble peu se prêter à des imitations aussi formelles, s’y présentent tantôt naïvement copiés, tantôt interprétés librement avec un instinct esthétique tout à fait remarquable. La sculpture nous offre, en Égypte, le même mélange de parti-pris et de réalisme, où l’expression de la vie dans ce qu’elle a de plus individuel et de plus particulier se rencontre avec les conceptions les plus invraisemblables et les plus abstraites. Dans ces fictions symboliques où la vie animale se greffe en quelque sorte sur la vie humaine, elle aboutit à des types d’une beauté sereine ou d’une bizarrerie extravagante. Les liaisons d’idées qui guident l’artiste dans ces associations tour à tour raffinées ou grossières sont bien celles qu’on pouvait attendre d’un peuple qui apporte dans sa manière de comprendre la vie future de si singulières préoccupations et qui, voulant pourvoir aux nécessités d’une existence toute matérielle continuée après la mort dans les tombeaux, invente des combinaisons si ingénieuses pour en assurer le secret.

Quanta la peinture égyptienne, c’est à peine si elle existe, et les moyens sommaires dont elle dispose la condamnent à un rôle très limité. Ses colorations se réduisent à quelques teintes plates, crues